Les médecins inspecteurs du travail en voie de disparition
Avec seulement un tiers des postes pourvus, ces praticiens, salariés de l’Etat, ne sont plus assez nombreux pour remplir correctement leur mission de contrôle et de veille en santé au travail. Une carence du service public préjudiciable à la prévention.
Médecin inspecteur régional du travail (Mirt), voilà bien un métier en tension. « En septembre, vingt et un médecins inspecteurs sont en exercice pour un effectif théorique de cinquante-huit postes », détaille Corinne Piron, médecin, cheffe de l’Inspection médicale du travail à la direction générale du Travail (DGT). Cette fonte des effectifs est lourde de conséquences au regard de leur rôle, essentiel mais méconnu, en santé au travail. Les Mirt, qui œuvrent au sein des directions régionales de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (Dreets), sont chargés du contrôle de l’organisation et du fonctionnement des services de prévention et de santé au travail (SPST) mais aussi de l’étude des risques professionnels et de leur prévention. Ils veillent, avec les inspecteurs du travail, au respect de la réglementation en santé au travail.
« Quand j’ai été embauché il y a dix ans, nous étions une cinquantaine, pointe Omar Ichou, secrétaire du syndicat national des médecins inspecteurs. Il va être aujourd’hui quasiment impossible d’exercer nos missions, notamment celle d’accompagnement et de contrôle des SPST. » Ces praticiens, qui ont tous une expérience de plusieurs années comme médecin du travail, instruisent les demandes d’agrément des SPST et remettent leur avis aux Dreets. « Dans certaines régions, il s’avère parfois nécessaire de dispenser dans un premier temps un agrément par voie tacite pour ne pas bloquer l’activité », reconnaît Corinne Piron.
Des régions sans médecin inspecteur
En Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur ou encore dans les Pays de la Loire, plus aucun Mirt n’est en poste. Une situation qui conduit à une absence de contrôle de l’Etat sur des SPST gérés par les employeurs mais aussi à une carence d’interlocuteurs experts pour les professionnels de santé au travail. « Au-delà de l’agrément, nous sommes sollicités par ces derniers pour des conseils et des informations », souligne Martine Léonard, seule médecin inspectrice sur la région Grand Est.
Mais la loi santé au travail d’août 2021 prévoit que les SPST feront désormais l’objet d’une procédure de certification à leurs frais par un organisme « indépendant » de leur choix. « Au motif de la pénurie de médecins inspecteurs, l’agrément risque d’être supprimé et remplacé par cette certification », se désole Véronique Tassy, qui vient de quitter son poste de Mirt en Pays de la Loire pour partir en retraite. L’inspection médicale du travail serait alors dépossédée d’un outil primordial pour peser sur les directions des SPST en cas de dysfonctionnement. A l’instar des services qui ont profité de la pandémie de Covid… pour fermer leurs portes et faire des économies. « Lors du premier confinement, j’ai contacté des directeurs pour les convaincre de rouvrir », témoigne un représentant de la profession.
Il revient aussi aux Mirt de soutenir les médecins du travail en difficulté avec un employeur ou les responsables d’un SPST. « Nous pouvons leur demander un appui dans l’organisation du service en cas de désaccord avec la direction », souligne Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail en Ile-de-France. Les inaptitudes pour souffrance au travail peuvent aussi tendre les relations entre un médecin du travail et une entreprise. « J’ai pu recadrer des directions de SPST qui, à la demande d’un employeur, lui avaient attribué un autre praticien », relate Véronique Tassy.
Une veille en berne
La protection des intérimaires exposés aux agents chimiques dangereux ou aux rayonnements ionisants fait aussi partie de leurs missions régaliennes. Les Mirt rendent un avis sur les mesures de prévention des risques. « Je rencontre les chefs d’entreprise, je vais observer les postes de travail, j’interroge les intérimaires pour savoir s’ils ont été formés à la sécurité », explique Véronique Tassy. Le défaut de professionnels pourrait dégrader plus encore les conditions de travail de ces salariés précaires, peu couverts par les institutions représentatives du personnel et exposés à de nombreux risques dommageables pour leur santé. « Un intérimaire victime d’un accident du travail grave n’a plus accès à un médecin du travail dès lors que sa mission est terminée. Nous négocions avec les directions des SPST pour assurer sa prise en charge dans le cadre du maintien à l’emploi », ajoute un autre médecin inspecteur.
La veille en santé au travail pâtit aussi de la pénurie. Les Mirt sont à l’initiative de grandes enquêtes, comme celles intitulées Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) ou Maladies à caractère professionnel (MCP). Ils mobilisent et animent les réseaux de médecins du travail participant à ces études. « Comment pourront-elles perdurer avec un tel manque d’effectifs ? », se demande Nicolas Sandret, en retraite de l’Inspection médicale du travail mais toujours impliqué dans le déroulement de Sumer. Il craint la « casse d’un thermomètre » pourtant indispensable. « Seul l’emploi compte pour le ministère, il ne faudrait plus embêter les employeurs avec les conditions de travail », renchérit Véronique Tassy. Annie Touranchet, ancienne médecin inspectrice en Pays de la Loire, qui a notamment porté les enquêtes MCP, déplore aussi l’appauvrissement de la veille en santé au travail : « Mes collègues n’ont plus les marges de manœuvre et le temps nécessaire pour développer des études essentielles. » Si Corinne Piron regrette que la veille en santé au travail n’ait pas été « un sujet au cœur de l’accord national interprofessionnel (ANI), sur lequel s’est fondée la réforme », elle assure toutefois que les enquêtes Sumer et MCP seront poursuivies.
Par ailleurs, les médecins inspecteurs participent aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), le système complémentaire de réparation. Au motif de ne pas bloquer ce système engorgé, un décret de mars 2022 prévoit que les Mirt peuvent désormais être remplacés par « un médecin particulièrement compétent ». « Leur présence aux C2RMP est capitale. Ce sont eux qui connaissent les liens entre santé et travail, entre les entreprises et leurs conditions de travail », souligne Annie Touranchet. La gestion de la pénurie semble prévaloir sur la recherche de solutions aux difficultés de recrutement.
Perte de sens
Ces professionnels sont en effet bien moins payés que les médecins du travail. Même si une revalorisation salariale est dans les tuyaux, elle risque de ne pas être suffisante pour attirer de nouveaux candidats. Certains Mirt ont préféré reprendre un poste de médecin du travail pour ne plus avoir à porter des réformes qu’ils désapprouvent. Avec la fusion des régions, d’autres ont jeté l’éponge à cause d’une charge de travail trop lourde. Un effet domino des démissions, d’autant que les moyens mis à disposition ne sont souvent pas à la hauteur. Dans certaines régions, les médecins inspecteurs ne disposent même plus de bureau individuel, de temps de secrétariat ou de budget pour organiser des journées d’échanges avec les médecins du travail. Plusieurs témoignent n’être plus associés à la préparation des textes réglementaires. Des éléments qui, conjugués, entraînent une perte de sens de la fonction.
Et les Dreets ne semblent pas se précipiter pour pourvoir les postes. Même lorsque les praticiens sur le départ arrivent à trouver un successeur, comme en Pays de la Loire. « La direction a tardé à publier le poste, et la candidate s’est désistée lorsqu’elle a appris qu’elle serait seule et sans tuilage », raconte Véronique Tassy. Selon cette ancienne responsable du syndicat des Mirt, certaines Dreets refusent même d’ouvrir des postes budgétés par le ministère. Le syndicat demande depuis deux ans une rencontre avec le directeur général du Travail pour discuter de l’avenir de l’Inspection médicale du travail. En vain. Comme si la santé au travail n’était plus un sujet de préoccupation pour l’administration.
Les missions des médecins inspecteurs du travail sont précisées dans les articles L. 8123 et R. 8123 du Code du travail. Le décret n° 2022-1031 du 20 juillet 2022 décrit les référentiels et les principes guidant l’élaboration du cahier des charges pour la certification des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPST).