Mentir au travail, un nouvel outil du management ?
Le scandale Volkswagen n’est sans doute pas un cas isolé. Mentir au travail, de Duarte Rolo, révèle comment, dans les centres d’appels, le mensonge peut être imposé par l’organisation du travail. L’auteur nous précise que ces pratiques sont répandues.
Alors que le scandale Volkswagen révèle l’ampleur d’une tromperie organisée chez le fleuron mondial de l’automobile, un psychologue clinicien, Duarte Rolo, élève de Christophe Dejours, vient de publier Mentir au travail, aux Presses universitaires de France (PUF). A partir d’une recherche clinique dans les centres d’appels, il soutient que le mensonge peut être « fortement induit, voire carrément imposé par l’organisation du travail ».
« Il est frappant de voir que ces pratiques sont très répandues », nous a précisé Duarte Rolo, dans l’entretien qu’il nous a accordé. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est pas si rare que le contenu de la prescription ordonne explicitement de mentir. » D’ailleurs, d’autres témoignages affluent du monde de la banque et des assurances. « Néanmoins, dans la plupart des cas, l’ordre reste implicite. Le mensonge est soit fortement conseillé, soit suivi d’incitations ou de primes. Ou tout simplement la nature de la tâche rend le mensonge nécessaire et inévitable, sauf à s’opposer ouvertement à la prescription ».
Souffrance de la trahison
Mais ce mensonge est coûteux pour le fonctionnement psychique et génère de la souffrance au travail. Comme le relève Duarte Rolo dans son ouvrage, « alors que les transgressions vis-à-vis de l’organisation du travail prescrite apparaissent comme de véritables ressources face à l’insuffisance des consignes, le mensonge prescrit conduit les agents à se mettre en tort envers les normes collectivement construites. […] Bien souvent, ils se retrouvent en porte-à-faux à l’égard de leur propre éthique professionnelle. Dès lors, le mensonge prescrit écorne le sens du travail et mène potentiellement à la trahison du métier, voire de soi-même ».
Régression infantile
Pour supporter ces contradictions éthiques, les stratégies défensives des salariés varient selon le contexte. Certains optent pour l'abattage de dossiers pour anesthésier leur sens moral, satisfaisant alors les objectifs de production. D'autres forment des clans et désignent un bouc émissaire, « déplaçant du même coup les conflits du travail vers des conflits de personnes ». Emerge aussi un phénomène plus nouveau de régression infantile dans l'organisation de parties de Wii ou de basket, qui permettent de ne pas s'encombrer des questions de morale. « Certains adhèrent, d'autres se sentent d'autant plus déconsidérés », conclut-il.
L’ACCUMULATION DES STRESS ENGENDRE DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX
Le cortisol, « l'hormone du stress » détectable dans la salive, est un indicateur reconnu du niveau de stress chez une personne. Pour la première fois, des chercheurs canadiens ont prélevé des échantillons de salive pour corroborer les déclarations de détresse, de dépression et de burn-out de travailleurs participant à une grande enquête baptisée Salveo. Sur les 2 162 salariés qui ont rempli un formulaire de 300 questions, 401 se sont prêtés au jeu. L'analyse biologique a confirmé la pertinence des outils de diagnostic traditionnels par questionnaire tiré des modèles de Karasek, MBI-General Survey et des inventaires de Beck et de Maslach.
Des échantillons ont ainsi été prélevés lors de deux journées de travail et d’une journée de repos, car l'un des objectifs de l'étude était de parvenir à différencier l’incidence des facteurs de risque propres à l'entreprise (management, charge de travail…) par rapport aux facteurs personnels (vie familiale, problèmes personnels, traits individuels).
Etre une femme, un facteur aggravant
En entreprise, les facteurs aggravants sont une supervision abusive, une demande psychologique trop importante (forte charge de travail ou rythme soutenu), l'insécurité de l'emploi et les comportements agressifs, particulièrement dans les cas de burn-out. Tandis que dans la sphère individuelle, l'étude pointe le débordement de la vie professionnelle sur la vie familiale, les problèmes de santé chroniques, la consommation d'alcool, et aussi… le fait d'être une femme, surtout en ce qui concerne l'épuisement émotionnel (une des trois sous-dimensions de l'épuisement professionnel, avec le cynisme et l'inefficacité professionnelle). Les tensions conjugales ou parentales sont aggravantes pour la détresse et la dépression, mais pas pour le burn-out.
Certains facteurs organisationnels protègent toutefois des risques psychosociaux : l'utilisation des compétences, le soutien des collègues, la reconnaissance et les perspectives de carrière. A terme, les chercheurs souhaitent mettre au point de nouveaux outils de dépistage précoce des problèmes de santé mentale en milieu de travail.
Parus le 18 septembre, deux numéros de Dares Analyses, une des publications de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques du ministère du Travail : Chômage et santé mentale, des liens ambivalents et Le devenir professionnel des actifs en mauvaise santé : un maintien en emploi plus difficile.