"Mettre en place des espaces de débat sur le travail"
Les entreprises à risque se sont-elles aujourd'hui engagées dans une véritable culture de sécurité ?
François Daniellou : Malheureusement, la prise de conscience a souvent lieu lorsque l'entreprise a été confrontée à un accident grave. Beaucoup d'entreprises sont encore dans l'illusion que tout peut être prévu et maîtrisé avec des procédures. Et quand survient une situation non ordinaire, elles peuvent se trouver démunies car elles n'ont pas assez investi dans la compétence de leurs salariés pour faire face à l'imprévu. En cas d'événement inattendu, les règles peuvent être contradictoires, parfois même ne doivent surtout pas être appliquées. Par ailleurs, pour piloter leur sécurité, nombre d'entreprises s'appuient sur le taux de fréquence des accidents du travail : s'il est bon, elles pensent être protégées des accidents graves. Or ce taux ne dit rien sur l'état de préparation par rapport à des événements extraordinaires. Nous recommandons aux entreprises de travailler sur leurs "presqu'accidents", de ne pas se contenter de travailler sur ceux qui ont déjà eu lieu. Chez AZF, par exemple, l'entreprise avait de très bons taux en matière d'accidents du travail, mais elle n'était pas préparée à un risque majeur. Enfin, le taux de fréquence des accidents a beaucoup baissé dans les entreprises, sans que le nombre d'accidents mortels des salariés ou des sous-traitants diminue. Cela signifie qu'on ne s'est pas attaqué aux bonnes choses. Dans les accidents majeurs, la contribution organisationnelle est très importante.
Vous mettez notamment en garde les entreprises sur ce que vous appelez le "silence organisationnel". Qu'est-ce que cela signifie ?
F. D. : Il s'agit d'une situation où des informations importantes pour la sécurité, disponibles au niveau du terrain, ne remontent pas et ne peuvent être prises en compte dans les décisions stratégiques. C'est un problème extrêmement grave, notamment en France, en raison du manque d'écoute des salariés. Une des causes majeures de ce silence organisationnel est que les salariés craignent la réaction de leur hiérarchie s'ils signalent une erreur ou une situation dangereuse. Je suis intervenu dans une entreprise où toute personne qui signalait une situation dangereuse avait une sanction, au prétexte que si elle rencontrait une telle situation, c'était qu'elle n'avait pas respecté les procédures. Avec ce genre de position, on empêche toute remontée d'informations importantes pour la sécurité. De même, l'absence de suites données aux signalements décourage les salariés. A quoi bon continuer de faire remonter des informations si elles ne sont pas traitées ? Les problèmes s'accumulent alors sous le tapis.
Comment est-il possible de se prémunir de ce danger ?
F. D. : Nous préconisons la mise en place d'espaces de débat, où les salariés peuvent discuter avec leur manager des difficultés rencontrées pour bien faire leur travail. Ces échanges sur le travail sont loin d'être généralisés dans les entreprises. De plus, les managers sont très pris dans leurs bureaux par les indicateurs, ils sont trop peu sur le terrain. Cela suppose aussi que les collectifs de travail fonctionnent bien. Si un jeune arrive dans une entreprise et commet des écarts, ce sont les anciens qui vont pouvoir lui dire que ce n'est pas comme cela qu'on travaille. Mais si le collectif est en morceaux, que chacun vit sa vie, il n'existera pas ce filet de protection.