Michel Gollac : "Il faut débattre des façons de bien faire le travail"
Sociologue et coauteur avec Yves Clot du livre Le travail peut-il devenir supportable ?, il prône le renforcement de la démocratie et de l'autonomie des salariés dans les entreprises, vecteurs de santé et d'efficacité à long terme.
Quelles sont les conséquences sur la santé des salariés d'une reprise de l'intensification du travail, soulignée par la dernière enquête nationale Conditions de travail ?
Michel Gollac : L'intensification du travail a des incidences directes sur le stress, qui engendre des maladies cardiovasculaires et mentales, probablement aussi des allergies et des cancers. Elle a également des conséquences indirectes : en particulier, elle empêche les gens de bien faire leur travail. Les travailleurs sont alors pris dans des conflits de valeurs, également facteurs de stress. L'intensité excessive du travail pénalise particulièrement les seniors : l'exigence de vitesse prend le dessus sur celles de précision, de réflexion sur l'amélioration des organisations... Donc sur les qualités qu'ils ont développées tout au long de leur carrière.
Pour sortir de ce cercle vicieux, vous prônez le développement de la démocratie dans les entreprises et une plus grande autonomie des salariés. Cette même enquête Conditions de travail note que de plus en plus de salariés font état de discussions collectives sur l'organisation du travail. Pour autant, ils souffrent davantage... Que préconisez-vous pour que ces échanges soient suivis d'effets ?
M. G. : Les salariés mettent en oeuvre des stratégies pour tenter de faire face à l'intensité du travail. Les discussions collectives favorisent ces stratégies, mais elles ne sont pas à la hauteur de l'intensité du travail, ni quantitativement, ni qualitativement. Dans les années 1980 et 1990, l'intensité avait déjà fortement augmenté, sans que la démocratie dans l'entreprise ne progresse réellement. Les initiatives doivent partir de débats sur les façons de bien faire le travail concret, comme dans les expériences menées par Yves Clot et la clinique de l'activité. La démarche doit aussi embrasser l'entreprise dans sa globalité, et même son environnement. Les discussions organisées actuellement ont rarement cette liberté et cette ampleur. Personnellement, plutôt que de chercher l'efficacité dans la précarité et les bas salaires, je suis favorable au renforcement de l'obligation de négocier ainsi qu'à des allégements de charges ciblés sur les entreprises qui instituent le débat et accroissent ainsi le pouvoir de leur personnel, sa qualification et sa créativité.
Vous en appelez à une intervention des pouvoirs politiques...
M. G. : Dans une étude1 , deux chercheurs du CNRS, Edward Lorenz et Antoine Valeyre, ont montré que les "organisations apprenantes", fondées sur l'autonomie individuelle et collective, sont favorables à la santé et économiquement efficaces et qu'elles dominent dans des pays où les syndicats sont puissants et où les institutions favorisent la sécurité professionnelle et la négociation. La mobilisation de tous les acteurs, y compris bien sûr les représentants du personnel, est nécessaire pour qu'il y ait de vrais débats et que leurs conclusions soient mises en oeuvre. Pour les dirigeants des entreprises françaises, dont les principes d'organisation sont en général différents, le débat et la démocratie représentent une charge et un risque. Mais, dans la mesure où il s'agit d'un progrès social et d'une source d'efficacité à long terme, c'est aux dirigeants politiques de les aider à vaincre leurs craintes. Encore faut-il qu'eux-mêmes en aient la motivation.
- 1
"Les formes d'organisation du travail dans les pays de l'Union européenneTravail et Emploi n° 102, avril-juin 2005.
Le travail peut-il devenir supportable ?, par Yves Clot et Michel Gollac, Armand Colin, 2014.