Micmac dans un service de santé au travail
par
Clotilde
de Gastines
François
Desriaux
/ 01 octobre 2019
Le service de santé au travail Aicac, en Seine-et-Marne, doit fusionner demain avec le Ciamt, gros service interentreprises parisien. Mais un courrier de la Direccte pointe les irrégularités qui ont entouré la préparation de cette opération. Enquête
C’est ce qui s’appelle taper du poing sur la table ! Dans un courrier daté du 16 septembre dernier, dont Santé & Travail a pris connaissance, la direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (Direccte) Ile-de-France a adressé une mise en garde à Frank Schulze, président de l’Aicac, service interentreprises de santé au travail basé en Seine-et-Marne. Les agents de contrôle ont en effet relevé une série d’irrégularités sur le fonctionnement de la gouvernance de ce service, notamment à la veille de sa fusion programmée avec un service parisien de santé au travail, le Ciamt. Parmi les griefs constatés, les services de contrôle ont relevé que quatre administrateurs sur sept ont été « suspendus » de façon totalement irrégulière. Dont les trois représentants des organisations syndicales de salariés. « Cette procédure de suspension n’est pas prévue par les statuts de l’Aicac, écrit la responsable du service santé travail de la Direccte. Par ailleurs, elle a été mise en œuvre sans vote de l’assemblée générale qui élit les membres représentants des employeurs au conseil d’administration et sans information préalable des organisations syndicales qui désignent les représentants des salariés (…) Cette procédure de suspension a ainsi privé le conseil d’administration de sa composition paritaire et complète au moment d’un vote essentiel pour la vie de l’Aicac qui a engagé une démarche de fusion avec le Ciamt. »
« Des échanges se mettent en place avec la Direccte », assure le directeur, Pascal Provo. Il ne veut toutefois pas se prononcer sur les irrégularités : « Je ne veux pas répondre en nom et en place de mon président. Toujours est-il que ces représentants des adhérents ont été suspendus ou radiés parce qu'ils n'étaient pas à jour de la cotisation. Et un autre parce qu'il était très offensif. » Injoignable lors de la rédaction de cet article, Frank Schulze n’a pu répondre à nos questions.
« Des échanges se mettent en place avec la Direccte », assure le directeur, Pascal Provo. Il ne veut toutefois pas se prononcer sur les irrégularités : « Je ne veux pas répondre en nom et en place de mon président. Toujours est-il que ces représentants des adhérents ont été suspendus ou radiés parce qu'ils n'étaient pas à jour de la cotisation. Et un autre parce qu'il était très offensif. » Injoignable lors de la rédaction de cet article, Frank Schulze n’a pu répondre à nos questions.
Convoitises
Dans ces conditions, il est permis de se demander si l’assemblée générale de l’Aicac, qui doit se tenir ce vendredi 4 octobre pour entériner cette fusion, peut délibérer valablement. Il faut dire que la mariée est belle. Avec un budget de fonctionnement de 1,8 million d’euros, l’Aicac est un service de santé au travail qui suscite les convoitises depuis que sa principale animatrice, la Dre Marie Pascual, a pris sa retraite en 2015. Il possède quatre biens immobiliers, à Chelles, Lognes, Bussy-Saint-Georges et Champs-sur-Marne, emploie 24 personnes et regroupe plus de 1 200 entreprises adhérentes, soit 20 000 salariés répartis en Seine-et-Marne et Seine-Saint-Denis. Ce service avait jusque-là jalousement défendu son autonomie, en particulier vis-à-vis de l’organisation patronale de la médecine du travail, l’ex-Cisme devenu Présance. On se souvient notamment de l’engagement de ce service en faveur d’un suivi médical adapté aux salariés intérimaires.
Dans son courrier, la Direccte pointe également les « irrégularités dans le respect des principes régissant la gouvernance d’un service de santé ». En particulier l’absence de réunion de la commission de contrôle, qui, composée pour deux tiers de représentants des salariés et pour un tiers de représentants des employeurs et présidée par un représentant des salariés, est chargée de la surveillance de l’organisation et de la gestion du service de santé et doit se réunir au moins deux fois par an. La Direccte réclame aussi à l’Aicac de transmettre le rapport administratif et financier 2018 et le rapport du commissaire aux comptes. Une demande qui risque d’être difficile à satisfaire puisque le trésorier de l’association, qui est obligatoirement un représentant des salariés, n’a même jamais été désigné au sein du conseil d’administration. En outre, le syndicaliste appelé à occuper cette fonction fait justement partie des administrateurs « suspendus » par le président. Pascal Provo a prétexté que l’entreprise de ce syndicaliste, Conforama, en pleine restructuration, était en retard de paiement de son adhésion au service de santé au travail… « Or cette manœuvre est illégale, témoigne un observateur proche du dossier, car ce sont les unions régionales syndicales qui nomment et qui radient leurs représentants. »
C’est aussi ce représentant du personnel qui a alerté l’administration des dysfonctionnements de la gouvernance du service de santé au travail dans un courrier d’une dizaine de pages.
Dans son courrier, la Direccte pointe également les « irrégularités dans le respect des principes régissant la gouvernance d’un service de santé ». En particulier l’absence de réunion de la commission de contrôle, qui, composée pour deux tiers de représentants des salariés et pour un tiers de représentants des employeurs et présidée par un représentant des salariés, est chargée de la surveillance de l’organisation et de la gestion du service de santé et doit se réunir au moins deux fois par an. La Direccte réclame aussi à l’Aicac de transmettre le rapport administratif et financier 2018 et le rapport du commissaire aux comptes. Une demande qui risque d’être difficile à satisfaire puisque le trésorier de l’association, qui est obligatoirement un représentant des salariés, n’a même jamais été désigné au sein du conseil d’administration. En outre, le syndicaliste appelé à occuper cette fonction fait justement partie des administrateurs « suspendus » par le président. Pascal Provo a prétexté que l’entreprise de ce syndicaliste, Conforama, en pleine restructuration, était en retard de paiement de son adhésion au service de santé au travail… « Or cette manœuvre est illégale, témoigne un observateur proche du dossier, car ce sont les unions régionales syndicales qui nomment et qui radient leurs représentants. »
C’est aussi ce représentant du personnel qui a alerté l’administration des dysfonctionnements de la gouvernance du service de santé au travail dans un courrier d’une dizaine de pages.
Conflit d’intérêts
« Pascal Provo et Frank Schulze ont fait passer la fusion en force alors que le quorum n’était pas atteint et sans aucun représentant des salariés », témoigne Christine Renard, représentante CFDT, qui travaille à la mairie de Lognes et a été également « suspendue ».
Mais ce n’est pas tout. Selon notre enquête, Pascal Provo, qui, avant d’occuper le poste de directeur général, présidait l’association, a installé discrètement les bureaux de sa start-up dans les locaux du service de santé au travail depuis plus d’un an. Il a fait embaucher par l’Aicac son associé, informaticien, pour un temps partiel, et plusieurs témoins nous ont affirmé que le dirigeant travaillait beaucoup au développement de son entreprise avec les moyens du service. Celle-ci réalise « des solutions informatiques dédiées à la prévention des risques dans les domaines de la santé et sécurité au travail, la qualité, la malveillance et la déontologie », selon la page LinkedIn du chef d’entreprise. Pascal Provo assure, lui, qu'il n'existe « aucun lien entre (s)a société et l'Aicac, (s)es locaux sont à Lognes ». Il existe bien une boîte aux lettres au 17 rue Mozart, et Pascal Provo participe de temps en temps à l'assemblée des copropriétaires, selon un des voisins, mais les anciens locaux d'Alea Prévention sont loués.
Un conflit d’intérêts évident, mais qui, semble-t-il, n’est pas un cas isolé, comme en témoigne à mots couverts un agent de contrôle qui préfère garder l’anonymat : « Ce qui se passe à l’Aicac, c’est un cas parmi d’autres. Il faut vraiment s’intéresser à l’argent des services interentreprises, ils disposent souvent d’un véritable trésor de guerre. Ils montent des boîtes de formation avec l’argent des adhérents qui cotisent pour la santé au travail de leurs salariés… Les grands groupes sont choyés, mais les tout petits, le coiffeur, le boulanger, le toiletteur pour chiens, eux, n’ont pas les prestations qu’ils sont en droit d’attendre. »
Que va-t-il se passer désormais au service de santé au travail Aicac ? La réponse appartient en partie aux unions régionales syndicales CFDT, FO et CFE-CGC. Elles ont le pouvoir, en effet, d’engager un recours judiciaire pour faire annuler les délibérations du conseil d’administration autorisant le processus de fusion duquel elles ont été irrégulièrement écartées, en s’appuyant notamment sur le courrier de la Direccte. Et sans doute aussi peuvent-elles bloquer le déroulement de l’assemblée générale du 4 octobre qui doit entériner cette fusion avec le Ciamt.
Mais ce n’est pas tout. Selon notre enquête, Pascal Provo, qui, avant d’occuper le poste de directeur général, présidait l’association, a installé discrètement les bureaux de sa start-up dans les locaux du service de santé au travail depuis plus d’un an. Il a fait embaucher par l’Aicac son associé, informaticien, pour un temps partiel, et plusieurs témoins nous ont affirmé que le dirigeant travaillait beaucoup au développement de son entreprise avec les moyens du service. Celle-ci réalise « des solutions informatiques dédiées à la prévention des risques dans les domaines de la santé et sécurité au travail, la qualité, la malveillance et la déontologie », selon la page LinkedIn du chef d’entreprise. Pascal Provo assure, lui, qu'il n'existe « aucun lien entre (s)a société et l'Aicac, (s)es locaux sont à Lognes ». Il existe bien une boîte aux lettres au 17 rue Mozart, et Pascal Provo participe de temps en temps à l'assemblée des copropriétaires, selon un des voisins, mais les anciens locaux d'Alea Prévention sont loués.
Un conflit d’intérêts évident, mais qui, semble-t-il, n’est pas un cas isolé, comme en témoigne à mots couverts un agent de contrôle qui préfère garder l’anonymat : « Ce qui se passe à l’Aicac, c’est un cas parmi d’autres. Il faut vraiment s’intéresser à l’argent des services interentreprises, ils disposent souvent d’un véritable trésor de guerre. Ils montent des boîtes de formation avec l’argent des adhérents qui cotisent pour la santé au travail de leurs salariés… Les grands groupes sont choyés, mais les tout petits, le coiffeur, le boulanger, le toiletteur pour chiens, eux, n’ont pas les prestations qu’ils sont en droit d’attendre. »
Que va-t-il se passer désormais au service de santé au travail Aicac ? La réponse appartient en partie aux unions régionales syndicales CFDT, FO et CFE-CGC. Elles ont le pouvoir, en effet, d’engager un recours judiciaire pour faire annuler les délibérations du conseil d’administration autorisant le processus de fusion duquel elles ont été irrégulièrement écartées, en s’appuyant notamment sur le courrier de la Direccte. Et sans doute aussi peuvent-elles bloquer le déroulement de l’assemblée générale du 4 octobre qui doit entériner cette fusion avec le Ciamt.
Blocage patronal
L’enjeu est d’importance alors que le ministère du Travail va devoir affronter le Medef, qui bloque le projet de réforme des services de santé au travail proposé par le rapport Lecocq, députée du Nord. Il y a un an, ce rapport avait considéré qu’il fallait créer des établissements régionaux de santé au travail, gérés paritairement et regroupant les services de santé au travail, les services prévention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), les associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) et les agences de l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Or, précisément, les négociations entre les partenaires sociaux sur ce projet de réforme ont échoué, notamment en raison du blocage patronal qui ne veut pas perdre la main sur la médecine du travail… et le porte-monnaie !