Mieux prévenir les RPS dans la fonction publique
Comment établir une prévention durable des risques psychosociaux (RPS) dans la fonction publique, soumise à d’incessantes réformes ? L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail propose notamment d’associer les agents aux réorganisations.
Des actions de prévention des risques psychosociaux (RPS) ont été menées dans la fonction publique, mais avec un certain retard par rapport au secteur privé, la préoccupation essentielle étant la conduite de nombreuses et importantes transformations.
En effet, de multiples réformes ont été mises en oeuvre avec une récente accélération, notamment due au développement des services numériques. L’administration des impôts, par exemple, ferme des guichets parce qu’un large accès par Internet est donné aux usagers. Sources de changement également, les réorganisations territoriales ou de missions se multiplient, comme en témoignent les créations de groupements hospitaliers de territoire (GHT), d’agglomérations, de métropoles ou encore les restructurations des directions départementales interministérielles (DDI).
« Polyrestructurés »
Ces mutations de l’action publique placent souvent les agents en difficulté pour plusieurs raisons. Les réformes s’enchaînent et, sans même une étape de bilan, les personnels doivent intégrer une nouvelle organisation : ils évoquent parfois le sentiment d’être « polyrestructurés ». Cette situation pose la question majeure du sens du travail, également mis à mal par la réduction des moyens et le sentiment de ne plus fournir un travail de qualité.
Le rapport de Michel Gollac sur les facteurs psychosociaux de risque, daté de 2011, a montré l’importance du sens et de la reconnaissance pour la construction de la santé au travail.
Des agents, dont beaucoup ont choisi leur métier par goût du contact avec le public, constatent que cette relation se dégrade, soit par manque de temps ou de moyens pour bien servir les usagers, soit parce que la demande de ces derniers change en venant bousculer, voire heurter leur engagement. Les profils des publics évoluent, qu’ils soient écoliers, étudiants, patients ou personnes âgées en maison de retraite, et leurs situations se complexifient. Davantage informés, les usagers exigent des réponses plus rapides, en viennent même à contester l’autorité du service. Comme le « client roi », l’« usager roi » est incité à noter systématiquement le service pour exprimer sa satisfaction ou son insatisfaction, sans évidemment connaître les moyens réels mis à disposition de l’agent. Ce qui peut créer, chez ce dernier, une tension et une souffrance relative à l’engagement.
Face à l’ampleur des RPS, comment installer une prévention durable dans un contexte de changement permanent ? En 2013, les partenaires sociaux de la fonction publique ont signé un accord sur ce thème. Celui-ci prévoyant un bilan des démarches entreprises, la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a sollicité en 2016 l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) afin qu’elle évalue les actions menées et leurs effets réels. L’Anact a réalisé un travail sur le terrain, interrogé de nombreux acteurs impliqués dans des démarches locales et synthétisé diverses études sur le sujet.
Erreurs de diagnostic
Ce bilan qualitatif met en lumière les difficultés de la prévention des RPS. Certes, une mobilisation forte a permis la réalisation de nombreux diagnostics avec des outils et méthodes de qualité. Mais l’analyse révèle que les structures publiques peinent à passer aux plans d’action. Et lorsque ceux-ci sont lancés, il s’agit essentiellement de prévention secondaire – des agents sont formés à la gestion du stress, par exemple – ou tertiaire – comme, dans la police, la mise en place de cellules psychologiques. La prévention primaire, qui porte sur les sources de risque, demeure très insuffisante. Les mesures touchant à l’organisation du travail, au management, au processus de travail et de coopération pour limiter en amont les facteurs de RPS font généralement défaut.
Plusieurs obstacles viennent entraver le passage de l’évaluation à la prévention effective. Parfois les diagnostics, faute d’être suffisamment affinés, n’ont pas été construits à partir des situations concrètes de travail. Ainsi, un problème entre deux services a pu être considéré uniquement sous l’angle de la communication entre personnes ; une formation pour mieux dialoguer a été alors la seule réponse. Mais le manque d’échanges entre services n’a pas été envisagé comme une conséquence de dysfonctionnements plus profonds, par exemple une mauvaise délimitation des compétences ou un processus de coopération mal réglé.
Globalement, par ailleurs, les acteurs de la fonction publique manquent de culture sur l’organisation du travail, sans l’étude de laquelle il n’est pas possible d’attaquer les maux à leur racine. A cela s’ajoutent des difficultés pour gérer des projets aussi complexes que ceux concernant les risques psychosociaux, qui nécessitent la construction d’un plan d’action comprenant un ensemble de mesures raisonnables, cohérentes et organisées dans le temps.
Le peu de moyens ainsi que le déficit de la médecine de prévention en matière de RPS contribuent également à rendre malaisée leur prise en charge. Les projets solides sont souvent portés par un acteur de prévention fortement impliqué que sa direction soutient, mais le turn-over important chez les cadres supérieurs et les réorganisations successives ont un impact négatif sur les actions mises en place en modifiant les priorités des décideurs. Il faudrait que les structures se soient suffisamment approprié la prévention des RPS pour être en capacité de l’intégrer dans la conduite des réorganisations successives. L’instabilité fragilise les dispositifs, jusqu’à, dans certains cas, les faire disparaître.
Vers un management plus collaboratif
Dès lors, installer une demande durable dans ce contexte incertain passe par certaines évolutions décisives. Au coeur de cette problématique figure la question de la participation des agents et de la mise en place de dispositifs permettant de prendre en compte leur expérience en amont. Lorsqu’elle accompagne des structures publiques, l’Anact met l’accent sur l’association des salariés aux transformations : elle crée des groupes participatifs, sollicite des agents pour proposer des solutions en complément des réflexions issues des instances du dialogue social et de l’expérience des managers.
La prévention des RPS peut être pérennisée par des démarches développées régulièrement lors de l’analyse de dysfonctionnements ou de l’apparition de nouveaux projets. Un autre axe important consiste à former les encadrants à des modes de management plus collaboratifs ; tiraillés entre la mise en place de réformes et une gestion du quotidien difficile en raison de la charge de travail, ils restent en effet trop souvent dans un management descendant.
On doit aussi leur permettre de s’exprimer sur leurs conditions de travail. Laisser davantage de marges de manoeuvre aux structures et décideurs locaux favorise également ces démarches participatives. Pour relancer la dynamique, l’Anact incite ces acteurs à procéder à une évaluation régulière : examiner de manière paritaire, avec le CHSCT, ce qui a fonctionné, ce qui a fait difficulté, ce que seraient les nouveaux axes de travail est une façon efficace de remobiliser tout le monde.
Toutes ces réflexions peuvent être étendues aux démarches de qualité de vie au travail (QVT) qui permettent d’élargir sur les questions du travail. L’entrée par les RPS s’est révélée parfois un peu réductrice, qu’il s’agisse de la manière de poser les problèmes ou du périmètre des acteurs impliqués.
En travaillant d’abord sur un objectif d’amélioration de la qualité du service public, sujet fédérateur, la qualité des conditions de travail, et donc la prévention des RPS, est forcément prise en compte. Dans une université, par exemple, les relations des enseignants et des administratifs avec les étudiants en première année, très nombreux, généraient des tensions. Plutôt que d’aborder ces difficultés sous l’angle RPS – les risques liés aux contacts avec les étudiants –, elles ont été examinées avec une approche QVT, en s’interrogeant sur un éventuel renforcement de l’accueil et en associant les étudiants à cette réflexion pour connaître leurs attentes. Ceci a permis de réduire les situations de stress.
Valoriser les expériences innovantes
Le 17 juillet dernier, les premiers résultats de la consultation « Agents publics : simplifions ensemble », qui a connu une participation élevée (135 000 connexions enregistrées), ont indiqué que ces derniers demandaient une amélioration du service rendu aux usagers, plus d’autonomie, plus de concertation avant la mise en place des réformes, davantage d’écoute, afin de redonner du sens au travail. Ces attentes fortes prouvent que le sujet demeure d’actualité dans un cadre de transformations extrêmement rapides, qui vont encore s’accélérer avec le déploiement du numérique.
Toutes ces aspirations doivent être entendues et prises en considération, que la prévention soit abordée sous l’angle des RPS ou de la QVT. De nombreuses structures de la fonction publique, telles que des établissements hospitaliers, des collectivités locales ou des services locaux de certains ministères, ont développé en la matière des démarches intéressantes. Il importe que ces initiatives soient valorisées et qu’elles servent d’appui à d’autres expériences innovantes de prévention et d’association des agents.
Ces propositions font aussi écho aux préconisations du rapport remis en octobre 2019 au gouvernement par la députée LREM Charlotte Lecocq. Intitulé Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance, le document demande la négociation d’un plan santé au travail dans le secteur public, en cohérence avec celui mis en place pour le privé. Il permettrait de relancer une dynamique de prévention au plus haut niveau, au moment où certains secteurs sont en grande tension.
« Passer du diagnostic au plan d’action : l’enjeu majeur des démarches RPS dans la fonction publique », par Philippe Douillet, Cahiers des RPS n° 30, décembre 2017.