"Mitbestimmung"
A force de nous rebattre les oreilles des succès de nos voisins allemands, depuis leur taux de chômage à moins de 5 % jusqu'à leurs excédents commerciaux, en passant par leurs réformes "courageuses", il est peut-être temps de réviser quelques notions de la langue de Goethe. A commencer par le terme de "Mitbestimmung", rarement employé par les zélateurs du modèle d'outre-Rhin. En français, "codétermination". Autant dire un gros mot chez nous, alors que, chez nos voisins germaniques, c'est un des piliers des relations sociales. Certes, la simplicité de leur dialogue social fait pâlir d'envie ceux qui, chez nous, critiquent notre "mille-feuille social", la complexité et l'enchevêtrement des instances représentatives du personnel et des négociations obligatoires. Au pays d'Angela, le débat entre partenaires sociaux se veut à l'image du reste : efficace ! Avec une seule instance : les conseils d'établissement. Sauf que ceux-ci sont présents dès cinq salariés et sont dotés d'un véritable contre-pouvoir, pouvant aller, selon les sujets, jusqu'au droit de veto. Un concept qui fait beaucoup moins d'envieux chez nous.
Mais c'est surtout sur la gouvernance des entreprises que la Mitbestimmung nous donnerait des complexes. Alors que chez nous les représentants des salariés ont fait une entrée aussi timide que récente dans les conseils d'administration des grandes entreprises, ils occupent 50 % des sièges chez les champions du monde de foot. Evidemment, ce rapport de force beaucoup plus équilibré entre actionnaires et salariés change la donne, comme on a pu le voir avec la capacité du tissu industriel allemand à résister à la crise. Mais malgré toutes ses qualités, il y a peu de chances que la Mitbestimmung inspire les négociations qui se sont ouvertes ici, à Paris, sur la modernisation du dialogue social. Il suffit de lire le projet du MedefUn million d'emplois, pour être persuadé que Pierre Gattaz a une mémoire sélective concernant ses leçons d'allemand. La remontée des seuils sociaux pour repousser la création des instances représentatives du personnel y figure en bonne place. Il aurait d'ailleurs tort de se priver, après les multiples signaux envoyés au patronat par les gouvernements Valls 1 et 2 sur la pénibilité, les 35 heures, le travail du dimanche...
Dans cette dynamique, portée davantage vers la réduction tous azimuts des "contraintes" du droit du travail que vers la recherche d'un compromis social équilibré, on a tout lieu de craindre pour le devenir des CHSCT. On sait qu'une partie du patronat voit d'un très mauvais oeil l'influence gagnée par cette instance. Et rêve de sa fusion avec le comité d'entreprise. Ce n'est pas une bonne idée, comme l'a démontré Pierre-Yves Verkindt dans son rapport Les CHSCT au milieu du gué, remis au gouvernement en février dernier. Pour ce professeur de droit, qui a consulté tout ce que notre pays compte d'experts et de partenaires sociaux, si fusion il devait y avoir, ce serait entre le CHSCT et les délégués du personnel, afin de préserver un lieu de débat sur le travail réel, complémentaire de celui sur l'emploi et la stratégie économique que constitue le CE. Et cela devrait se faire par la négociation et l'expérimentation sociale plutôt que par la loi, en y intégrant la couverture des salariés des petites entreprises. Warum nicht ?