Mobilisation unitaire sur la santé au travail
A l’occasion de la Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, le 28 avril dernier, un collectif intersyndical et associatif a organisé action et après-midi de débats en vue de dénoncer et réduire le trop grand nombre d’atteintes à la santé au travail.
Il y a Jean-Baptiste, 25 ans, apprenti-élagueur tué par la chute brutale d’un arbre. Mais aussi Amya, 60 ans, retrouvée morte deux jours plus tard dans les vestiaires de son lieu de travail. Ou encore, Miguel, 32 ans, gravement brûlé à la suite de l’explosion d’un compteur électrique. Leurs noms et les conditions de leurs décès sont inscrits blanc sur noir sur des pancartes brandies sous les fenêtres du ministère du Travail, à Paris. Ce matin du 28 avril, Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, 200 personnes sont réunies à l’initiative d’un collectif intersyndical et associatif. Ses membres ont cosigné un appel, titré « Halte à l’impunité patronale », et organisé une journée d’action afin d’alerter l’opinion sur l’« hécatombe » qui « décime le monde du travail ».
Campagne nationale
D’emblée, le ton est donné. « Parce que le gouvernement cherche à nous imposer une réforme qui vise à nous faire travailler deux ans de plus, nous dénonçons plus que jamais que le travail blesse et que le travail tue », lance en préambule Christelle, représentante CGT au ministère du Travail. En réaction au recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, et consécutivement à l’annonce d’une nouvelle loi sur le travail par le gouvernement, les membres du collectif veulent initier une « campagne nationale contre les atteintes à la santé au travail ».
En 2023, il n’est pas rare de mourir au travail, ou à cause de ce dernier. Deux travailleurs français meurent chaque jour, soit quatorze par semaine, et plus de 700 par an si l’on se fie uniquement aux décomptes de la Sécurité sociale concernant le régime général et le régime agricole. Des chiffres qui ne reflètent qu’une partie de la réalité, puisqu’ils n’incluent pas certaines populations : agents de la fonction publique, travailleurs sans-papiers ou indépendants, notamment les autoentrepreneurs. « Et cela empirera encore si l’on doit travailler plus longtemps alors qu’on est usé par des décennies de boulot ! », s’insurgent les signataires de l’appel.
Selon un rapport publié en octobre 2022 par la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail, les salariés âgés de 60 ans ou plus enregistrent le risque le plus élevé d’accidents mortels au travail. « C’est pourquoi nous défendons une retraite pour les vivants dès 60 ans et 55 ans pour les métiers les plus pénibles », martèle Christelle de la CGT.
Elaborer un canevas de propositions
Toujours le 28 avril, en début d'après-midi, un débat était organisé par le même collectif, à la bourse du travail de Paris. Dans ce lieu chargé de symboles, les participants à la journée d’action se sont retrouvés, afin de faire émerger un canevas de « propositions pour travailler ensemble toute l’année », comme le résume Alain Bobbio, secrétaire national de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva).
« Depuis un an, la question du travail n’a jamais été autant au centre du débat public », inaugure Louis-Marie Barnier, sociologue associé au Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest) et syndicaliste à la CGT. En guise de motif de satisfaction, celui-ci cite la mobilisation contre les réformes des retraites, la sortie du livre de Matthieu Lépine (L’Hécatombe invisible, Ed. Seuil), et la création du collectif Familles : stop à la mort au travail.
Pour les membres du collectif intersyndical et associatif, « la démolition des contre-pouvoirs des salariés sur leurs conditions de travail » explique, en partie, les mauvais chiffres de la France en matière d’accidents du travail. Ils pointent notamment la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) par les ordonnances Macron de septembre 2017, le manque d’inspecteurs du travail (1 796 agents pour 20 millions de salariés, soit une perte de 20 % des effectifs en dix ans) ou encore les freins à l’indépendance de la médecine du travail dans les grandes entreprises (dans celles d’au moins 2 200 salariés, le médecin du travail est directement salarié par l’employeur).
Mieux reconnaître la souffrance psychique
« Les atteintes à la santé mentale doivent aussi revenir dans le débat public », insiste pour sa part Louis-Marie Barnier. Selon le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), animé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), les pathologies psychiques représentaient en 2018 31 % de l'ensemble des pathologies en relation avec le travail dans les services publics et jusqu’à 41 % de celles survenues dans le commerce et les services, secteurs plus féminisés. Là aussi, certaines populations, tels les agents de la fonction publique, passent sous les radars.
Une réalité « largement sous-estimée » en termes de reconnaissance en accidents du travail et maladies professionnelles par la Sécurité sociale. « La question du suicide est trop souvent renvoyée à la sphère privée », déplore Michel Lallier, fondateur de l’Association d’aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnelles (ASD-Pro), qui milite pour faire reconnaître la souffrance professionnelle. « Dès qu’il y a un mort au travail, il faudrait qu’un juge d’instruction soit nommé », suggère-t-il.
Parmi les solutions avancées lors des débats, sont évoquées la création d’un tableau de maladies professionnelles spécifique aux pathologies psychiques, des sanctions envers les entreprises qui ne respectent pas les normes de prévention, ou encore la création de 4 000 postes d’inspecteurs du travail d’ici à 2027. Mais surtout, le retour des CHSCT, « l’un des meilleurs garants d’une politique de prévention », insiste le sociologue Louis-Marie Barnier, avant d’annoncer la création dès le mois de septembre prochain, d'Assises dédiées aux questions de santé et sécurité au travail. Le but ? « Former tous les militants, les élus, et forger des moments d’éducation populaire », conclut-il.