Les mots mis sur les maux ne sont pas innocents
Les salariés et les employeurs sont-ils devenus des experts de santé publique ? La lecture de certains comptes rendus de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) donne parfois l'impression d'assister à un congrès scientifique sur la souffrance psychique au travail. Les participants se disputent sur la définition de concepts, citent des articles de médecine ou de psychologie. L'enjeu principal des débats ne semble plus être le partage du pouvoir, mais la vérité des propositions. Ce n'est pourtant qu'une apparence.
Du point de vue des salariés, les mobilisations contre la souffrance psychique ne sont souvent qu'une nouvelle façon d'exprimer des combats syndicaux et politiques classiques1 : la résistance à l'extension abusive de la subordination salariale, la revendication d'un droit de décider de l'organisation du travail. Simplement, du fait d'une tendance à la " sanitarisation du social ", il faut désormais parler de santé si l'on veut parler de tout le reste.
Les employeurs font également des calculs politiques dans leurs prises de position sur la souffrance. Ainsi préfèrent-ils l'expression " risques psychosociaux " plutôt que " souffrance au travail ", par exemple, parce qu'elle donne une apparence plus technique aux débats, ce qui incite souvent les représentants syndicaux à penser qu'ils sont à la traîne par défaut de connaissances. Surtout, elle met en cause un " environnement " à risque, ce qui fait qu'elle se prête moins à la recherche de responsabilités.
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Voir par exemple " Responsabilités en souffrance. Les conflits autour de la souffrance psychique des salariés d'EDF-GDF (1985-2008) ", par Marlène Benquet, Pascal Marichalar et Emmanuel Martin, Sociétés contemporaines n° 79, 2010.