Négociations : la fonction publique se dote de CHSCT sur mesure
L'accord sur la santé au travail dans la fonction publique, signé par la quasi-totalité des syndicats, prévoit la création de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, mais avec des droits moins étendus que dans le privé.
Au 1er décembre, sept syndicats sur huit ont signé le nouvel accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique. Une quasi-unanimité rare ! Si la CGT, premier syndicat chez les fonctionnaires, et la FSU, principale organisation chez les enseignants, se sont accordé quelques jours de réflexion supplémentaires pour parapher le protocole, seul Solidaires s'y est refusé. Fait nouveau : l'Etat n'est pas le seul employeur public représenté dans les négociations. L'Association des maires de France (AMF), celle des régions et l'Assemblée des départements y ont participé.
En matière de prévention, les fonctions publiques d'Etat et territoriale accusent un retard abyssal sur les salariés du privé. Les comités d'hygiène et de sécurité (CHS) présents dans l'administration n'ont aucune compétence sur les conditions de travail, contrairement aux CHSCT. Aucun corps d'inspection ne dispose des prérogatives que possèdent les inspecteurs du travail vis-à-vis des employeurs du privé. La " médecine de prévention " dans la fonction publique est loin de pouvoir jouer le rôle d'une véritable médecine du travail. Très peu de données, d'études ou d'expertises sont disponibles pour mesurer l'étendue des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou des risques psychosociaux. A cela s'ajoute la disparité entre ministères, administrations et collectivités locales dans la manière d'aborder la santé au travail. Sur ce sujet, l'inertie prime depuis le décret de 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique. Seule la fonction publique hospitalière s'est rapprochée, en 1986, des dispositions du Code du travail en la matière.
Un cap est franchi
" Il y a une tendance à considérer qu'il n'existe pas de problèmes liés aux conditions de travail dans la fonction publique, alors que des gens sont cassés à 40 ans. Cet anachronisme est enfin réparé ", estime Thierry Durin, qui a négocié l'accord au nom de la CGT. Pas moins de 4,2 millions de fonctionnaires d'Etat et territoriaux sont concernés. En particulier ceux de l'Education nationale, de la police ou de l'équipement, des professions marquées par un taux de suicide élevé. " Dans la fonction publique territoriale, aucun reclassement n'est prévu. Une fois que les gens sont épuisés, il ne leur reste plus que l'invalidité, si on ne leur cherche pas un poste ailleurs ", illustre Maïté Druelle, secrétaire générale adjointe de la CFDT Fonctions publiques. La majorité des syndicats reconnaissent qu'un cap est franchi, même si les suppressions de postes ou les coupes budgétaires les incitent à la vigilance. " Politiquement, ce n'était pas simple de passer un accord dans ce contexte ", admet Anne Baltazar, secrétaire générale de la fédération des fonctionnaires de FO. Les négociations ont traîné un an et demi avant que le ministre de la Fonction publique, Eric Woerth, en fasse une priorité à la rentrée 2009.
Point central de l'accord : la mise en place de CHSCT dont le fonctionnement est en partie aligné sur le privé. Dans les collectivités locales, ils seront obligatoires dès 50 agents, et non 200 comme auparavant. Un seuil auquel s'est longtemps opposée l'Association des maires de France, critiquée par les syndicats pour sa " frilosité ". Le corps d'inspecteurs en hygiène et sécurité voit sa capacité d'interpellation accrue, sans pour autant disposer du pouvoir de verbaliser un employeur public, comme peut le faire un inspecteur du travail. Un observatoire aura pour mission d'apporter " une meilleure transparence sur l'état des risques sanitaires en milieu professionnel ". Il pourra, à partir de 2011, s'appuyer sur les éléments recueillis par l'enquête Sumer (pour " Surveillance médicale des risques "), désormais étendue à l'ensemble de la fonction publique. La composition de l'observatoire fera cependant l'objet d'un groupe de travail ultérieur. L'accord prévoit également d'achever la mise en place du document unique d'évaluation des risques professionnels, obligatoire dans le privé depuis 2002. " La fonction publique se rend compte qu'elle ne peut pas échapper au problème des pathologies professionnelles. En cas d'action en justice, les employeurs publics sont condamnables, y compris les ministres ", prévient Maïté Druelle, qui juge le texte " assez encourageant ", même s'il " ne doit pas rester figé ". Car plusieurs points flous demeurent.
Pas de blanc-seing
" Ce sont des mesures plutôt cosmétiques. Il n'y a pas de réelles avancées pour l'action syndicale, critique Eric Beynel, qui suit le dossier pour Solidaires. Après ce qui s'est passé à France Télécom, nous ne voulions pas donner un blanc-seing à Eric Woerth sur ce sujet. " Pour lui, les exemptions dont bénéficient les employeurs publics vis-à-vis du Code du travail sont trop nombreuses. Ainsi, le secrétariat des CHSCT dans l'administration sera confié à un fonctionnaire désigné, alors que ce rôle crucial est assuré dans une entreprise privée par un représentant du personnel. Une exemption de taille pour Solidaires, qui a pesé lourdement dans la décision du syndicat de ne pas signer l'accord. Dans la fonction publique territoriale, les CHSCT seront paritaires, contrairement à ce qui est de mise dans le privé. Cette exception est censée refléter la diversité des conseils municipaux, généraux ou régionaux en tant qu'employeurs. L'employeur public pourra également refuser les demandes d'expertise votées par les CHSCT, à condition de motiver son refus. Enfin, le délit d'entrave ne sera pas reconnu. " Ni les inspecteurs ni les représentants du personnel n'auront, par exemple, les moyens juridiques d'interpeller l'employeur sur l'absence de document unique. C'est bien la preuve que l'accord ne prévoit pas grand-chose ", assène Eric Beynel.
Pourquoi ces exemptions ? Plusieurs dispositions du Code du travail sont jugées incompatibles avec le statut général des fonctionnaires, soumis à l'" obligation d'obéissance hiérarchique ". " L'activité d'un fonctionnaire se place dans le cadre d'une hiérarchie des normes, définies au final par le Parlement ", explique Thierry Durin. En cas de conflit, les syndicats devront porter l'affaire devant le tribunal administratif. " Il n'y a donc pas de jurisprudence, c'est un peu gênant ", confie Maïté Druelle.
Autre sujet qui fâche : la médecine de prévention, équivalent public de la médecine du travail, mais sans la rémunération ni le statut. " C'est un des points noirs de l'accord. Le gouvernement aurait pu fixer un objectif en nombre de médecins ", déplore Thierry Durin. " Tant que nous n'avons pas une vraie médecine du travail, il n'y aura pas de prévention digne de ce nom ", ajoute Anne Baltazar. Le ministère appelle de ses voeux " une véritable culture de prévention, de formation et de conseil et d'inspection ", mais les moyens et les recrutements à y consacrer ne sont pas précisés. Ils sont renvoyés aux groupes de travail qui, début 2010, seront chargés de traduire concrètement plusieurs dispositions du texte.