Négociations sous contrainte pour l’emploi des seniors
Au regard de la feuille de route adressée par le gouvernement aux partenaires sociaux sur le maintien dans l’emploi des travailleurs vieillissants, les négociations sur la prévention de l’usure professionnelle s’annoncent compliquées. Surtout sans marge de manœuvre financière.
Quelques mois après l’adoption de la réforme des retraites, le ministère du travail a communiqué le 21 novembre aux organisations syndicales et au patronat un « document d’orientation sur le nouveau pacte de la vie au travail » pour fixer le périmètre de l’accord à venir. Le maintien en poste des travailleurs vieillissants est l’enjeu majeur de ces négociations. Les partenaires sociaux sont invités à négocier d’ici la mi-mars sur trois points : améliorer l’articulation des temps avec la mise en place d’un compte épargne-temps universel (CETU) ; atteindre le plein emploi des seniors ; encourager la progression des carrières et les possibilités de reconversions, ce qui englobe la lutte contre l’usure professionnelle. Le document insiste sur un taux d’emploi des seniors particulièrement alarmant. Malgré sa progression depuis les années 2000, le texte souligne qu’« il reste très inférieur à la moyenne de l’Union européenne, en particulier pour les 60-64 ans (33 % en France, contre 46,4 % en moyenne dans l’Union européenne, 61 % en Allemagne et près de 70 % en Suède). »
Priorité sur l’emploi plutôt que sur le travail
Cette feuille de route suscite des regards contrastés, aussi bien des spécialistes de la santé au travail que des partenaires sociaux. « Quasiment dénué d’éléments de constats, le document ne traduit pas un fort investissement en préparation de la part des pouvoirs publics, estime Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre d'études de l'emploi et du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CEET-Cnam). Il annonce un taux d’emploi de 65 % pour les 60-64 ans en 2030, ce qui doublerait le taux de progression, passant d’un point par an à deux, ce qui ne va pas de soi. » Serge Volkoff relève par ailleurs que l’Etat comme employeur n’apparaît nulle part. Annie Jolivet, économiste du travail au CEET-Cnam, se montre tout aussi circonspecte. « Il existe un décalage entre le titre ambitieux et les trois blocs disjoints, sans orientation stratégique générale, lesquels ressemblent à une liste de courses. La tonalité du texte, axé sur l’emploi, n’apporte guère d’élément sur le travail, observe-t-elle. Le document ne semble ni intégrer les connaissances engrangées ces dernières années ni les actions menées, notamment par les agences nationale et régionales d’amélioration des conditions de travail. »
Sandrine Mourey, secrétaire confédérale de la CGT, déplore que le gouvernement ait fait voter une loi repoussant l’âge de départ « sans s’être préoccupé au préalable de ce que les entreprises font des seniors dans un contexte où un salarié sur deux n’est plus en emploi au moment de faire valoir ses droits à la retraite ». Elle rappelle que la pénibilité de certains métiers impacte l’espérance de vie. Comme les autres partenaires sociaux, la CGT voit cependant dans le flou de ce « pacte de la vie au travail » l’occasion de porter ses propositions. Il lui semble notamment essentiel de mettre l’accent sur la formation et la possibilité de changer de voie tout au long de la carrière pour favoriser le maintien dans l’emploi et la prévention de l’usure. « Il est important de sécuriser les parcours afin qu’il y ait un emploi au terme de la formation, pointe Sandrine Mourey. Il faut financer des formations qualifiantes pour réaliser des transitions professionnelles. » Un constat partagé par la CFDT. « Un aménagement sécurisant est nécessaire pour favoriser la reconversion professionnelle, ce qui améliore le taux d’emploi », renchérit Olivier Guivarch, secrétaire national de la CFDT.
Pour Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qui a défendu ardemment le passage de la retraite à 64 ans, le recours aux visites médicales de mi-carrière, pourtant déjà en place sans avoir changé la donne, est la clé. « Nous en sommes de fervents défenseurs. A 45 ans, un salarié a encore vingt ans de travail devant lui. Cette visite permet de mieux prendre en compte l’usure professionnelle pour une réorientation à mi-carrière, dans l’objectif que les sorties anticipées, s’il doit y en avoir, n’aient pas lieu avant 60 ans », estime-t-il. La CPME souligne l’intérêt du suivi renforcé et de la visite à 61 ans dans les métiers concernés par l’usure professionnelle, afin d’envisager, le cas échéant, un départ anticipé à la retraite.
Des points d’achoppement prévisibles
La CFDT, qui a pourtant porté le compte épargne-temps universel, ne se réjouit pas de voir apparaître ce dispositif dans le document d’orientation ouvrant les négociations sur l’emploi des seniors. « Ce document présente le risque d’en faire un compte alimenté pour partir avant l’âge légal de la retraite, ce que nous ne voulons pas, souligne Olivier Guivarch. Le CETU doit être un instrument pour doser son travail tout au long de sa vie et non une réponse au taux d’emploi des seniors. » A l’inverse, la CPME refuse l’utilisation de ce compte en cours de carrière qui impliquerait des remplacements de salariés relevant du casse-tête dans les petites et moyennes entreprises. Elle envisage plutôt son usage en fin de carrière. Quant à la CGT, elle n’est pas favorable au CETU qui selon elle défavoriserait les salariés aux carrières hachées et aux emplois à temps partiel. Plutôt qu’un compte impacté par les aléas professionnels, elle lui préfère un dispositif qui donne accès à des droits garantis collectivement et rétablisse une égalité dans son abondement entre tous les salariés.
Par ailleurs, le document d’orientation mentionne expressément que les négociations ne doivent pas déboucher sur des solutions ayant un impact sur les finances publiques. « Quid du crédit d’un milliard d’euros alloué jusqu’à la fin du quinquennat pour compenser le fait que quatre items ne figurent plus dans le compte pénibilité ? », interroge Serge Volkoff qui se réfère au fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle prévu par la loi réformant les retraites. Pour Eric Chevée, la question du financement ne se pose pas en ces termes. « Le recul des bornes d’âge de la retraite représente déjà 440 millions d’euros d’économie », affirme-t-il, réclamant au passage une réduction des charges sociales sur les seniors afin de diminuer les discriminations à l’embauche en fonction de l’âge. Si Olivier Guivarch ne soutient pas cette aide aux entreprises, il estime que maintenir davantage de seniors en emploi exige un véritable engagement financier. « Comme l’accord sera transposé dans une loi, le gouvernement sera en mesure de trouver des financements qui représenteront des investissements sur le long terme », espère-t-il.