" De la notion d'âge à celle de vieillissement "

Comment les liens entre âge, santé et travail évoluent-ils ?

Corinne Gaudart : Pour les comprendre, il est indispensable de passer de la notion d'âge à celle de vieillissement. Celui-ci est un processus de changement continu qui combine des éléments de déclin et de construction : d'un côté, les transformations d'ordre biologique peuvent déboucher sur des difficultés à s'adapter au travail, ce dernier pouvant accentuer des dégradations de la santé ; de l'autre, se développent une pratique professionnelle fondée sur l'expérience, mais aussi une capacité à prendre en compte les contraintes personnelles liées au vieillissement

Anne-Françoise Molinié : Mais les possibilités de construire et d'investir cette expérience dépendent des caractéristiques du travail et de son organisation, et des marges de manoeuvre individuelles et collectives. Elles peuvent être fragilisées par des transformations très diverses : des changements des organisations qui déstructurent les collectifs, des modifications techniques qui restreignent les modes opératoires, des évolutions démographiques qui rendent impossible la répartition des tâches dans le collectif, etc. Elles peuvent aussi avoir un coût, immédiat ou à plus long terme, pour les travailleurs concernés. L'âge, l'expérience et la santé sont mis à l'épreuve par les conditions de travail et leurs évolutions.

Les bouleversements du monde de l'entreprise ces dernières années compliquent-ils l'intégration d'une population active vieillissante ?

A.-F. M. : La rationalisation des organisations, les formes prises par des recentrages sur le " coeur du métier " réduisent significativement les possibilités de mise à l'abri des plus âgés vis-à-vis de certaines contraintes de travail. Avec l'intensification du travail, les changements permanents, on peut alors voir surgir des problèmes de performance, des troubles de santé, des exclusions, des reports de pénibilité sur des salariés plus jeunes.

C. G. : Les règles de métier sont bousculées. Lorsque ce qui a été appris est considéré comme obsolète, il peut devenir difficile de faire face aux changements technologiques ou organisationnels. La conception des formations souffre ainsi d'un déficit de prise en compte de l'activité réelle. Elles font en général table rase du passé pour se concentrer sur l'apprentissage d'une nouvelle technique. Il serait plus intéressant, en termes d'emploi et même de santé, de raccrocher les nouveaux outils à l'activité réelle et à l'expérience bâtie au fil du temps.

Quelles pistes d'action dessiner ?

C. G. : Une première tâche consiste à faire évoluer les représentations des liens âge/travail dans les entreprises. Ces dernières circonscrivent les problèmes à une catégorie d'âge rencontrant des difficultés à travailler. Il faudrait les doter d'outils leur permettant de mieux appréhender les processus à l'oeuvre. Par exemple, associer les informations du département des ressources humaines[RH, NDLR] et de la production afin de parler conjointement du vieillissement et de l'activité de travail.

A.-F. M. : Bien sûr, il faut aussi faire en sorte que les conditions de travail de tous, quel que soit l'âge, leur permettent de travailler en bonne santé, et dans la durée. Il faut aller voir de près ce qui se joue dans l'activité. On ne peut pas en rester aux données sur les RH, à la fois globales et statiques. Il est souvent utile de disposer d'outils de diagnostic plus fins, s'attachant plus à la diversité et aux évolutions. Prendre en compte l'âge, c'est aussi rappeler que les salariés sont différents les uns des autres et que ces différences s'accentuent au fil des parcours. La question est alors de concevoir des situations de travail où ces personnes différentes peuvent trouver leur place et tirer profit de leurs expériences, elles-mêmes diverses.