« Nous pouvons faire tellement plus pour les travailleurs essentiels »
Ce 28 avril, journée mondiale de la santé et sécurité au travail, la Confédération européenne des syndicats sort son manifeste « Zéro mort au travail ». C’est le début d’une campagne de plusieurs mois, alors que 27 000 Européens pourraient perdre la vie au boulot dans la prochaine décennie. Le point avec Claes-Mikael Stahl, secrétaire général adjoint.
Comment est née la campagne « Zéro mort au travail », dont le manifeste a été signé par des ministres, des parlementaires européens, des leaders syndicaux, des experts ?
Claes-Mikael Stahl : Nous avons connu une période de vingt ans d’inactivité ou presque dans le domaine de la prévention des risques professionnels, période pendant laquelle la pensée néolibérale a laissé croire que les forces du marché suffiraient à créer un monde meilleur. Entre temps, la situation a beaucoup changé. En plus des risques liés aux machines dangereuses, les travailleurs sont exposés à des cancers professionnels, aux risques psychosociaux (RPS). Le corps est en danger, mais aussi l’esprit. Chaque jour en Europe, 800 personnes sont victimes d’un accident grave du travail et 9 en meurent ; 300 contractent un cancer professionnel et 220 en décèdent. Il est temps d’agir.
Dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a-t-elle mis sur le devant de la scène la santé au travail ?
C.-M. S. : La population a davantage pris conscience des risques au travail. Durant la première vague, beaucoup d’activités ont été interrompues. Mais cela n’a pas été le cas dans les supermarchés, les transports, les services de santé… Ceux qui y travaillent sont essentiels, nous ne pouvons rien faire sans eux. Or nous pouvons faire tellement plus pour eux. A la fin de la journée, la caissière est stressée, a mal aux dos ou souffre de troubles musculosquelettiques (TMS). Par ailleurs, de nombreuses personnes se sont mises au télétravail, certaines se sont senties sous pression, isolées. Alors que le Covid-19 a pu accentuer certaines souffrances au travail, il faut saisir cette opportunité pour s’atteler à une meilleure prévention.
Qu’espérez-vous de cette mobilisation ?
C.-M. S. : En plus d’attirer l’attention sur ce sujet, nous souhaitons obtenir des résultats au niveau législatif. L’Union européenne dispose de larges compétences dans le domaine. Dès l’été 2022, des améliorations pourraient être apportées à la directive sur le risque lié à l’amiante et à celle sur les risques chimiques. Juste avant Noël, la Commission européenne doit légiférer sur le risque cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR). Le processus législatif est long et compliqué, il faut mettre autour de la table les représentants de l’Union européenne, des Etats membres, les différents experts et établir un dialogue social. Nous devons également tout faire pour que le budget consacré à la prévention des risques professionnels soit augmenté. Enfin, nous demandons qu’une directive sur les RPS soit élaborée.
Comment lutter contre les lobbys qui œuvrent à ralentir la prévention des risques professionnels au nom des intérêts économiques ?
C.-M. S. : Les représentant des entreprises de la chimie, par exemple, devront faire des compromis, et nous aussi. Souvent, nous mettons en avant le « niveau zéro », comme dans cette campagne de prévention. En réalité, c’est un objectif à atteindre mais il faut parfois autoriser transitoirement un certain niveau de substances, pour avancer.
Pendant vingt ans, et surtout pendant la décennie 2004-2014, quand José Manuel Barroso présidait la Commission européenne, nous n’étions pas entendus ; le message d’une économie forte qui réglerait tous les problèmes dominait. C’est du passé. Désormais, les employeurs doivent respecter des règles pour moins exposer leurs travailleurs, grâce par exemple à un ensemble de directives sur les CMR adoptées pendant le mandat actuel de la Commission et du Parlement européens. Lors du prochain mandat qui débutera en 2024, nous attendons que ces avancées se poursuivent, notamment sur les questions des RPS et des TMS.
Le marché du travail européen est le plus avancé du monde en termes de prévention des risques professionnels. Les ouvriers voient parfois l’Europe comme un problème, c’est ainsi que les populistes la font apparaître. Alors qu’en réalité, compte tenu de ses prérogatives, elle représente une solution.