« On ne sera pas mieux préparé à une prochaine crise »
Pendant les journées organisées par la Société de médecine et santé au travail de l’Ouest les 21 et 22 octobre, la crise sanitaire du Covid-19 en milieu de travail a été scrutée à la loupe. Peut-on en tirer des leçons pour demain ? Yves Roquelaure, chef du service pathologie professionnelle et médecine du travail au CHU d’Angers revient sur la déflagration causée par la pandémie.
Qu’est-ce qui a été marquant dans la gestion de la crise sanitaire au sein du monde professionnel ?
Yves Roquelaure : J’ai d’abord vécu la crise comme praticien hospitalier, quand le Covid-19 a fait irruption en févier 2020. Comme tous mes collègues, nous nous sommes d’abord posé des questions d’ordre médical et pas institutionnel. Le degré d’impréparation et de sidération de l’Etat et des tutelles était telles, qu’elles n’ont pas eu d’autre choix que de laisser des marges de manœuvres très larges aux soignants et aux services de santé au travail, dont la mobilisation a été extraordinaire au pic de la crise.
On a essayé de mettre de l’huile dans les rouages. Au CHU, on a beaucoup travaillé avec le conseil scientifique de la Société française de médecine du travail. On s’est efforcé de créer du lien entre les acteurs du soin, de la santé publique, de la Sécurité sociale et de la santé au travail, notamment pour créer des ponts entre l’Agence régionale de santé (ARS) du Maine-et-Loire et les services de santé au travail afin d’éviter les clusters dans les Ehpad et dans les milieux professionnels.
Mais, à ce moment-là, la santé au travail n’était pas la préoccupation principale de la direction générale du Travail (DGT), qui était plutôt mobilisée sur la gestion du chômage partiel ou des activités autorisées, si bien que les temporalités des deux ministères, Travail et Santé, n’étaient pas en phase. On a vu des contradictions fortes sur la question des arrêts de travail, la liste des personnes vulnérables, l’anonymisation des résultats des tests PCR pour protéger le secret médical. Ces difficultés passagères montraient qu’il n’existe pas d’articulation claire entre la santé au travail et la santé publique, entre ce qui relève d’un ministère ou de l’autre. Mais ce n’est pas nouveau. C’est même récurrent. Et alors que, pendant un temps, on s’était affranchi de la bureaucratie, elle revient désormais en force. Un millefeuille qui retarde l’efficacité et la prise de décision.
Comment les services de santé au travail se sont-ils adaptés à l’impact du Covid dans les entreprises ?
Y. R. : Au plus fort de la crise, des médecins du travail ont participé à des activités de dépistage en renfort des structures de santé publique. Puis, ils ont été davantage mobilisés par les plans de continuité de l’activité et la prévention, au moment du retour massif au travail après le premier confinement. Leur rôle a été primordial pour accompagner les dirigeants et les salariés dans cette période de stress, et je pense que c’est un des facteurs de l’efficacité de la reprise de l’activité économique. Les entreprises ont bien joué le jeu, avec la mise en place de distanciation physique et du travail à distance. Les salariés ont finalement bien géré ces changements, malgré la pénurie de masque.
L’épidémie donnera des acquis forts sur la question du télétravail qui concernait moins de 10 % des salariés (contre 30 % en Belgique). On ne reviendra pas en arrière, même si cela comporte des risques avec le développement de logiciels de surveillance ou l’enchaînement de réunions en visio, qui peut être délétère. Pour les médecins aussi, la crise a révélé que les téléconsultations offrent un potentiel formidable, par exemple pour les patients fragiles avec des cancers professionnels qui font des démarches de reconnaissance et qui, de cette manière, ne sont pas obligés de se déplacer.
Mais dans le bazar du moment, le secret médical a parfois été entamé, sur les résultats des tests PCR, les clusters, la liste des personnes vaccinées. Il faudra faire attention à l’avenir et c’est toute la question de la préparation de la prochaine crise, qui est un des trois éléments du nouveau cadre stratégique européen sur la santé au travail.
Peut-on déjà tirer des enseignements de cette période en matière de prévention ?
Y. R. : Le Covid a provoqué 120 000 morts prématurées, alors que la canicule en avait fait 3 000. Mais le principal problème, c’est que la France n’a pas une vision intégrée de la santé. Par conséquent, on ne sera pas mieux préparé à une prochaine crise, qu’elle soit bactériologique ou nucléaire...