« Parler de sujets sérieux avec un ton un peu léger »

D’où vous est venue l’idée de lancer un podcast dédié au travail ?
Amandine Mathivet : J’intervenais depuis dix ans dans le monde de l’expertise, pour lequel je collectais des témoignages. C’est un univers passionnant mais très normé et j’avais envie de valoriser autrement ces paroles. Je voulais aussi parler en mon nom. J’ai pris six mois de pause, j’ai écumé les festivals de radio, pris des conseils auprès d’amis qui travaillaient dans le son et, munie d’un enregistreur Zoom ainsi que d’un logiciel de montage, j’ai réalisé un pilote sur les espaces de travail.

Quel regard, quel ton apportez-vous sur ces sujets ?
A.M. : L’idée est de parler de sujets sérieux avec un ton un peu léger, une pointe d’humour, un fond sonore issu de films ou de chansons – comme celle de La Compagnie Créole à la fin de chaque épisode – susceptibles de susciter des sourires. Surtout, je cherche à répondre à des questions que je me pose vraiment. Par exemple, dans l’épisode sur le team building, je me demande comment l’entreprise justifie qu’il faille faire une partie de bowling pour parler travail dans une équipe. J’utilise mon réseau de chercheurs et mes contacts, des représentants du personnel, des salariés, pour recueillir des témoignages que j’anonymise bien souvent. Sur le team building, la sociologue Danièle Linhart explique bien comment l’entreprise va chercher là des subjectivités, et pas seulement des compétences professionnelles. Je réalise des épisodes dont le contenu sera durable. D’ailleurs, quand la crise sanitaire a débuté et que tout le monde s’est mis à parler télétravail, j’ai levé le pied pour réfléchir à la saison 2 avant de la lancer.

Quel public visez-vous ?
A. M. : Pour l’instant, chaque épisode est écouté environ 1 500 fois. Par des experts, des syndicalistes, mais également des enseignants en sociologie du travail, pour expliquer certaines notions à leurs étudiants. Maintenant, il y a une difficulté inhérente à mon sujet. Le public du podcast a moins de 35 ans, en moyenne, et écoute surtout des séries sur l’intime, sur des sujets transversaux et pas forcément sur des sujets politiques au sens où j’entends le terme. Alors que le public potentiellement intéressé par les conditions de travail a plutôt plus de 40 ans et écoute moins de podcasts.
Or, j’aimerais vraiment que mes émissions servent à déculpabiliser les salariés. En tant qu’intervenante en cabinet d’expertise, je rencontre souvent des gens qui se remettent en cause personnellement. Par exemple, dans l’épisode sur les espaces de bureau, dans lequel j’aborde le flex office, j’explique que ces environnements-là n’ont pas été conçus pour que les travailleurs s’y sentent bien ou mal mais pour réaliser des économies sur l’immobilier. Si un salarié s’y sent mal, ce n’est peut-être pas étonnant et ce n’est pas parce qu’il est « trop vieux » ou « résistant au changement ».