Particules fines : à chacun sa norme
Certains travailleurs, tels ceux du métro, respirent autant - voire plus - de particules fines que la population générale. Or les valeurs limites d'exposition en vigueur pour eux ne les protègent pas assez des risques induits. Ce qui appelle une évolution des normes.
Nombreux sont les travailleurs que leur activité professionnelle expose à la pollution de l'air. Lors de l'enquête Conditions de travail menée en 2013 par le ministère du Travail, pas moins de 30 % des salariés ont ainsi déclaré être amenés à respirer des fumées ou de la poussière. Les poussières sont constituées de fines particules, qui peuvent rester en suspension dans l'air ou se déposer sur des surfaces (sol, bureau, établi, etc.). Elles sont soit minérales (silice, amiante), soit organiques, d'origine végétale (farines, bois) ou animale (acariens, cuir). Dans certains cas, elles proviennent directement des matières premières, qui, utilisées sous forme de poudre, se dispersent au cours des activités de production ; dans d'autres, elles sont générées par des actions sur des matériaux (usinage, ponçage) ou par le nettoyage - après leur dépôt, un balayage à sec, par exemple, peut les remettre en suspension.
La taille, une donnée déterminante
Les risques pour la santé dus à l'inhalation de particules en suspension dans l'air dépendent non seulement de la concentration de ces particules dans l'atmosphère et de la nature des substances qu'elles contiennent, mais aussi de leur taille (ou "diamètre aérodynamique", en langage scientifique). Celle-ci détermine leur capacité de pénétration dans l'appareil respiratoire, depuis les fosses nasales et la bouche jusqu'aux alvéoles pulmonaires. Elle constitue donc un élément particulièrement important à prendre en considération.
En hygiène du travail, la norme NF EN 481 définit, en fonction de la pénétration des particules dans l'arbre respiratoire, plusieurs fractions granulométriques représentant la distribution statistique des tailles. Les trois principales d'entre elles sont les fractions inhalable, thoracique et alvéolaire. La première, également appelée "fraction des poussières totales", correspond à la probabilité moyenne d'inhalation, par le nez et par la bouche, des particules en suspension dans l'air ; par convention, ces particules présentent une dimension inférieure à 100 micromètres (µm). La deuxième se rapporte à la probabilité moyenne de pénétration au-delà du larynx (particules de 4 à 10 µm). La troisième est relative à la probabilité moyenne de pénétration dans les voies aériennes non ciliées, les alvéoles (particules de 1 à 4 µm). Les définitions de la poussière totale et de la poussière alvéolaire sont codifiées à l'article R. 4222-3 du Code du travail.
Ainsi, selon la quantité de poussières inhalées - plus importante lors d'un effort physique, car le rythme de la respiration est accru - et les caractéristiques physico-chimiques des particules qui les composent, la gravité des atteintes à la santé sera variable. Elles peuvent aller d'une simple irritation provoquant une toux ou une gêne respiratoire ponctuelle jusqu'au développement d'un cancer en cas d'exposition chronique (à des poussières d'amiante, de bois ou de silice, par exemple), en passant par une allergie ou un asthme.
Comme pour toute activité exposant les salariés à des risques, l'employeur est tenu d'évaluer ceux liés aux poussières, puis de les supprimer ou de les réduire en prenant des mesures appropriées. Le plan d'action établi à cet effet doit s'appuyer sur les valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP), lorsqu'elles existent.
L'article R. 4222-10 du Code du travail stipule que "dans les locaux à pollution spécifique, les concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l'atmosphère inhalée par un travailleur, évaluées sur une période de huit heures, ne doivent pas dépasser respectivement 10 et 5 milligrammes par mètre cube d'air"
La circulaire du 9 mai 1985 précise que ces concentrations moyennes concernent les poussières sans effets spécifiques (PSES), c'est-à-dire qui ne sont pas en mesure de provoquer seules, sur les poumons ou sur tout autre organe ou système du corps humain, d'autres effets qu'un effet de surcharge. Ces VLEP sont applicables à toute forme de poussières. Mais attention : des valeurs limites spécifiques sont fixées pour certaines poussières ayant des effets particuliers - entre autres celles de bois, d'amiante et de silice, potentiellement cancérogènes.
Une préoccupation environnementale majeure
Le problème des poussières ou particules ne nous concerne pas qu'au travail. La pollution atmosphérique représente aujourd'hui le premier sujet de préoccupation environnementale des Français. Son origine ? Les phénomènes naturels (éruption volcanique, incendie de forêt...), mais surtout les activités humaines (industrie, transports, agriculture, chauffage résidentiel...), responsables d'émissions de polluants sous forme de gaz ou de particules. Plusieurs de ces polluants sont suivis par les organismes de surveillance de la qualité de l'air. Tel est le cas des particules fines PM101 (diamètre inférieur à 10 µm) et PM2,5 (diamètre inférieur à 2,5 µm), pour lesquelles sont relevés de manière récurrente, dans plusieurs zones du territoire national, des niveaux de concentration élevés par rapport aux normes en vigueur. Un phénomène préoccupant, puisqu'elles peuvent pénétrer dans l'appareil respiratoire et, pour les plus fines (PM2,5), se déposer dans les alvéoles pulmonaires.
L'impact de l'exposition aux particules fines PM2,5 produites par l'activité humaine a été estimé par Santé publique France à 48 000 décès prématurés par an. Par ailleurs, la survenue d'effets cardiovasculaires et respiratoires associés à des expositions à la pollution particulaire de l'air ambiant à court et à long terme est largement documentée depuis plusieurs décennies. Des effets sur le cerveau ainsi que sur certaines fonctions, comme la reproduction, ont également été démontrés. Enfin, en 2013, le Centre international de recherche sur le cancer a classé comme cancérogènes avérés pour l'homme (groupe 1) la pollution de l'air extérieur et sa "composante majeure", à savoir les matières particulaires.
Les risques sanitaires induits par les particules fines sont donc loin d'être négligeables, tant pour la population générale que pour les travailleurs. Sauf que les normes applicables vont différer selon qu'on se situe dans le champ de la santé publique et environnementale ou dans celui de la santé au travail. Ce qui soulève un certain nombre de questions, comme le révèle le cas des travailleurs exerçant dans les enceintes ferroviaires souterraines (EFS) - et ce, dans des domaines aussi variés que l'exploitation et l'organisation du transport, les services, les commerces, la police, la sécurité, ou encore l'action sociale.
Une toxicité encore mal connue
Depuis le début des années 2000, des mesures de la qualité de l'air sont réalisées dans des stations de métro ou de RER à Paris, Lille, Lyon, Marseille, Rennes et Toulouse. Elles ont mis en évidence des concentrations en particules fines très supérieures à celles relevées aussi bien dans l'air extérieur que dans l'air intérieur des logements. Or la connaissance de la toxicité des particules en suspension dans les EFS est nettement plus limitée que pour celles de la pollution atmosphérique urbaine. C'est pourquoi l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié en 2015 un rapport d'expertise portant sur la "pollution chimique de l'air des enceintes de transports ferroviaires souterrains", dans lequel elle fait le point sur les "risques sanitaires associés chez les travailleurs"
Premier constat : dans les EFS, la pollution de l'air est dominée par la problématique des particules en suspension, dont la concentration dans l'air est souvent exprimée en PM10 et en PM2,5. Riches en métaux - principalement en fer -, en carbone élémentaire et en carbone organique, ces particules fines ont des caractéristiques physico-chimiques différentes de celles de l'air extérieur. Leur source majeure est l'usure des matériaux causée par la friction entre les roues et les freins des rames de voyageurs ; elles résultent également du contact entre roues et rails et de celui entre matériel roulant et système d'alimentation électrique.
Dans les conclusions de son expertise, l'Anses indique que, sur le plan épidémiologique, les données disponibles relatives aux travailleurs en EFS ne permettent pas de statuer sur les risques à long terme d'une exposition à des particules fines. Cependant, bien que les effets de ces particules soient à ce jour peu documentés, les données en la matière suggèrent que, à concentration massique équivalente, elles sont au moins aussi toxiques à court terme que celles de l'air ambiant extérieur. L'Agence en conclut qu'une inflammation des voies respiratoires en lien avec une exposition chronique aux particules "souterraines" et des effets consécutifs à celle-ci sont probables. Par analogie avec les risques sanitaires - bien documentés - des particules de l'air ambiant extérieur, des effets délétères sont ainsi attendus sur la santé cardiovasculaire et respiratoire des travailleurs des EFS. Le rapport souligne que les risques sanitaires sont vraisemblablement plus élevés pour les travailleurs en charge de la maintenance des infrastructures, compte tenu des poussières produites par les travaux, auxquelles s'ajoutent les émissions des motrices diesel.
La mise en évidence de ces risques pour la santé des travailleurs des EFS en lien avec les expositions aux particules fines incite à s'interroger sur les différences existant entre les référentiels et normes de surveillance de la qualité de l'air utilisés pour la population générale et ceux en vigueur pour les travailleurs.
Controverses et incompréhensions
Aujourd'hui, lorsqu'on parle de poussières ou de particules, la dichotomie des approches en santé environnementale et en hygiène industrielle se traduit par des discordances dans l'évaluation de l'exposition et des risques dès lors qu'il s'agit d'un environnement où la population générale côtoie la population professionnelle. Elle est à l'origine de controverses scientifiques et peut même, parfois, être source d'incompréhension entre les spécialistes des différentes disciplines. Au-delà de ces débats d'experts, la diversité des approches suscite, en particulier chez les représentants des salariés, des questionnements légitimes quant aux risques encourus.
Pour illustrer ces interrogations, voire les malentendus qui peuvent émerger, il suffit d'évoquer l'analyse de l'air au poste de travail réalisée en 2017 par la RATP, étude largement relayée par la presse début 2019. Au total, 267 agents ont été suivis sur 14 lignes du métro parisien et sur les lignes A et B du RER. Il est apparu que 80 % des mesures effectuées exposaient les conducteurs, contrôleurs et agents de manoeuvre à des taux oscillant entre 91 et 207 µg/m³ d'air pour les PM10 et entre 48 et 108 µg/m³ pour les PM2,5 ; concernant les agents commerciaux, ces taux allaient respectivement de 44 à 153 µg/m³ et de 28 à 106 µg/m³. Les représentants syndicaux des salariés ont alors fait valoir que ces taux se situaient au-delà des "valeurs guides" de la qualité de l'air définies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui recommande de ne pas dépasser plus de trois jours par an des taux de 50 µg/m³ pour les PM10 et de 25 µg/m³ pour les PM2,5. Ils ont exprimé leur étonnement lorsqu'ils se sont vu opposer le seuil légal de 5 mg/m³, soit 5 000 µg/m³, auquel les agents pourraient être exposés pendant 8 heures, conformément au Code du travail. Cette valeur n'est autre que la concentration alvéolaire de poussières sans effets spécifiques à ne pas dépasser. Et elle est près de dix fois supérieure aux recommandations de l'OMS, établies pour l'atmosphère extérieure, dont, rappelons-le, la composition diffère de celle de l'air dans les enceintes ferroviaires souterraines.
Seulement voilà, il n'existe pour l'heure aucune norme en matière de particules dans les EFS, pas plus pour les usagers que pour les travailleurs. Les données accumulées à ce jour concernant les PM2,5 et les PM10 atmosphériques semblent indiquer que celles-ci ont bien une toxicité qui n'est pas simplement liée à un phénomène de surcharge pulmonaire. Et il n'y a aucune raison de penser, en dépit du peu de connaissances scientifiques, qu'il n'en est pas de même pour les particules des EFS. Autrement dit, la pertinence d'appliquer, pour les travailleurs des transports souterrains, les valeurs limites relatives aux poussières sans effets spécifiques en tant que norme d'exposition à la pollution particulaire ne va pas de soi. Signalons au passage que les valeurs réglementaires de ces PSES devraient à terme être modifiées dans le Code du travail, au regard de l'évolution des connaissances. En mai dernier, l'Anses a d'ailleurs mis en consultation publique, pour une durée de deux mois, un rapport d'expertise en vue de recommandations de VLEP. Ce document préconise de fixer une valeur de 4 mg/m3 pour la fraction inhalable et de 1,3 mg/m3 pour la fraction alvéolaire. L'avis devrait être publié avant la fin de l'année.
Vers l'élaboration d'une VLEP "particules des EFS" ?
A la suite du rapport sur les enceintes ferroviaires souterraines publié par l'Anses en 2015, la question se pose, au regard des connaissances accumulées depuis, d'étudier l'éventuelle conception d'une "valeur guide de l'air intérieur pour les particules" en lien avec la pollution particulaire spécifique des EFS. L'Agence devrait d'ailleurs être saisie de cette question, qui concerne en premier lieu les usagers des transports souterrains. Bien évidemment, la faisabilité d'une VLEP "particules des EFS" pourrait aussi être examinée. Si les données scientifiques ne permettent pas d'élaborer une telle valeur, rien n'interdit de réfléchir à d'autres pistes. Le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (devenu en 2004 le Haut Conseil de la santé publique) avait proposé en 2000 d'extrapoler la valeur guide de l'OMS sur 24 heures à partir de la durée maximale de fréquentation des usagers. Serait-ce envisageable pour les travailleurs ?
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PM est l'acronyme de particulate matter (matière particulaire).
Pollution chimique de l'air des enceintes de transports ferroviaires souterrains et risques sanitaires associés chez les travailleurs, rapport d'expertise collective, Agence nationale de sécurité sanitaire, 2015.