Pas de plan social sans prévention des risques
Dans deux arrêts du 21 mars 2023, le Conseil d’Etat précise comment l’administration du Travail doit contrôler le respect par l’employeur de son obligation de prévention, lors de l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). L’avocate Judith Krivine en commente le contenu.
Le Conseil d’Etat vient de confirmer l’annulation de l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) au sein l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), en pointant des insuffisances dans le contrôle exercé par les services du ministère du Travail. Quelles sont les motivations de cette décision et quelle est sa portée pour les salariés ?
Judith Krivine : C’est la première fois que le Conseil d’Etat confirme, de manière aussi claire, que l’administration doit, dans le cadre d’un PSE, exercer un contrôle à la fois sur la régularité de la procédure mais aussi sur l’évaluation des risques et les mesures visant à prévenir ces risques. L’administration doit non seulement vérifier que le Comité social et économique (CSE) a bien été informé et consulté sur les risques psychosociaux susceptibles d’être causés par la réorganisation de l’entreprise, mais elle doit aussi vérifier que le PSE contient des mesures appropriées afin de protéger les travailleurs contre ces risques. S’agissant du PSE de l’Afpa, le Conseil d’Etat considère que, si l’administration a vérifié la régularité de la procédure, elle n’a pas procédé à un contrôle du contenu du document. La direction régionale de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités, la Dreets, est tenue de vérifier au vu des informations données – mais aussi au vu des débats et des échanges intervenus durant la procédure d’information et consultation entre l’employeur et les représentants du personnel, le cas échéant assistés de leur expert, ainsi qu’avec la Dreets – que l’employeur a bien arrêté des actions comportant des mesures précises et concrètes pour prévenir les risques. Il convient de rappeler que l’obligation de prévention de l’employeur est quasiment une obligation de résultats, puisque c’est la santé et la sécurité des salariés qui sont en jeu.
Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il été saisi dans cette affaire ?
J. K. : Le tribunal judicaire était auparavant compétent pour vérifier le respect par l’employeur de ses obligations de prévention. Le juge judiciaire a d’ailleurs estimé que la mise en œuvre du PSE à l’Afpa était dangereuse pour les salariés, l’organisme n’ayant pas suffisamment évalué les risques. Le PSE a été suspendu dans l’attente d’une évaluation plus précise. L’Afpa a présenté un nouveau document aux institutions représentatives du personnel. Selon l’expert qui les assistait, ce document ne comportait pas davantage une évaluation adéquate des risques et des mesures permettant de les prévenir. Les services du ministère du Travail ont néanmoins homologué le PSE, sans effectuer de contrôle sur le contenu de ce nouveau document. Pourtant, entre-temps, le Tribunal des conflits avait attribué à l’administration du travail le contrôle du respect par l’employeur de son obligation de prévention lors d’une demande d’homologation ou de validation d’un PSE. Les syndicats requérants ont donc saisi le tribunal administratif compétent et obtenu l’annulation de la décision d’homologation du PSE. L’Afpa, ainsi que le ministère du Travail, ont interjeté appel de cette décision, mais la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé la décision du tribunal administratif. Le ministère du Travail a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, qui a entériné l’annulation de l’homologation pour les motifs précités.
Cette décision permettra-t-elle demain une meilleure prise en compte des risques psychosociaux lors d’un PSE ?
J. K. : Tout dépendra de ce que décideront les juridictions administratives. Pour obtenir la validation ou l’homologation de leurs PSE, et en espérant se prémunir d’éventuelles décisions de justice qui pourraient leur être défavorables, certaines entreprises communiquent désormais aux CSE des énormes fichiers peu qualitatifs, afin de donner l’impression qu’elles ont évalué les risques et élaboré des actions permettant de les prévenir. Ce sont par exemple des évaluations « au doigt mouillé » de la charge de travail prescrite, comprenant des pages et des pages, sans aucune analyse du travail réel. De même, j’ai aussi constaté une tendance de l’administration à exercer un contrôle de pure forme des documents portant sur un PSE. Si cette tendance se confirme, cela pourrait être très grave. Plus personne, ni l’administration ni un juge, ne vérifierait le respect réel par l’employeur de son obligation de prévention lors de l’élaboration d’un PSE. On laisserait alors se mettre en place des réorganisations potentiellement dangereuses pour les salariés, en contradiction complète avec le droit de tout travailleur à la protection de la santé. Un droit de valeur constitutionnelle et protégé également par les textes européens.
Les Dreets disposent-elles de moyens suffisants pour exercer ce contrôle ?
J. K. : L’administration sait effectuer ce type de contrôle. J’ai vu des Dreets écrire à des employeurs pour leur demander de préciser le temps affecté à telle ou telle tâche et qui sera chargé de cette tâche en cas de suppression de poste. Le CSE nomme souvent un expert, qui va analyser les documents portant sur le PSE. La Dreets se doit d’examiner les documents transmis par l’entreprise mais aussi d’étudier le rapport de l’expert, afin de juger du sérieux de la méthodologie utilisée par l’employeur. Selon le ministère du Travail, le contrôle effectué par la Dreets se fait au plus près du terrain, à partir de sa connaissance de l’entreprise et, au besoin, en s’appuyant sur l’inspecteur du travail. Celui-ci, comme l’a affirmé le ministère devant le Tribunal des conflits, « a la possibilité, en toute indépendance, de recevoir les salariés, l’ensemble des représentants du personnel et d’effectuer un contrôle in situ ».
Le 21 mars dernier, le Conseil d’Etat a prononcé une autre décision intéressante, concernant une société du groupe de presse l’Equipe. Dans cette affaire, l’expert du CSE avait démontré l’existence de risques psychosociaux pour les salariés exposés à une cessation d’activité de la société. Or, même en cas de cessation d’activité, l’entreprise est tenue de respecter son obligation de prévention des risques psychosociaux. Cela signifie que l’obligation de prévention ne concerne pas uniquement les salariés qui resteront après la mise en œuvre des licenciements, mais aussi ceux concernés par ces derniers, pour la période comprise entre l’annonce du PSE et la rupture de leur contrat. Cette décision confirme aussi que la Dreets se doit de prendre en considération l’ensemble des éléments, y compris le rapport de l’expert désigné par le CSE.