Pas de rempart solide contre les pesticides
Une nouvelle étude pluridisciplinaire, basée sur une revue de la littérature scientifique, bat en brèche l’idée que les équipements de protection individuelle rendent l’utilisation de pesticides sans danger pour les agriculteurs.
L’enjeu est de taille. Les équipements de protection individuelle (EPI) sont en effet un élément déterminant, qui conditionne les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Ils doivent garantir que les utilisateurs de pesticides ne seront pas exposés à un niveau de toxicité supérieur à la réglementation. Or ces équipements sont loin d’être infaillibles, comme le démontre un collectif pluridisciplinaire d’une quinzaine de chercheurs. Ils ont réalisé une revue de la littérature scientifique complète sur leur efficacité supposée en milieu agricole, abordant les aspects techniques autant que réglementaires. Les points forts de cette étude, disponible sur le site Internet ScienceDirect depuis novembre dernier, ont notamment été révélés lors de la conférence sur l’avenir de la santé et la sécurité en Europe, organisée par l’Institut syndical européen (Etui) le 4 décembre.
Risque cardiaque accru
Premier constat ? En conditions réelles de labeur dans les champs, beaucoup d’EPI ne sont pas utilisés. « Quand les personnes sont payées à l’heure ou au produit récolté, qu’il faut faire vite ou réaliser des tâches pointues, le port de gants empêchant le contact avec les pesticides rend le travail très difficile », commente Nathalie Jas, une des auteurs, chargée de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). En outre, le fait de les porter peut créer d’autres risques. Par exemple, un équipement imperméable aux produits liquides peut laisser passer les molécules toxiques contenues à l’intérieur, s’il y a perméation, c'est-à-dire si toute pénétration, y compris de nanoparticules, n’est pas empêchée. « De plus, un EPI peut donner chaud. Dans ce cas, les pores de la peau se dilate et les produits s’imprègnent d’autant plus », souligne la chercheuse. Sans compter que la chaleur et l’humidité provoquées par la protection augmentent le risque cardiaque.
Un défaut d’évaluation
Le manque d’efficacité des EPI tient également au mode d’évaluation des risques. Dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché d’un pesticide, une analyse du principe actif est réalisée. Mais elle ne porte pas sur le produit qui va être commercialisé. Et celui-ci contient d’autres substances que la molécule, qui n’est pas exploitée pure. « Des pénétrants sont ajoutés pour rendre les produits plus performants. Ces adjuvants, considérés comme inertes, provoquent des mélanges ayant d’autres effets toxiques, non connus », déplore l’experte de l’Inra.
Autre problème : le coût des protections individuelles ne favorise pas leur diffusion. La question de leur financement est donc posée. « Nous ne disons évidemment pas que ces équipements ne doivent pas être utilisés, mais nous soulignons leurs limites, indique Nathalie Jas. Compte tenu de ce fait, on ne peut faire des équipements de protection individuelle la colonne vertébrale des autorisations de mise sur le marché. Rien dans la littérature scientifique ne justifie de leur donner un tel poids dans la procédure. »
Exclus des études épidémiologiques
Enfin, selon une étude de Catherine Laurent, directrice de recherche à l’Inra, la moitié des personnes qui travaillent dans l’agriculture n’ont pas le statut de permanent. Cela les exclut des études épidémiologiques menées par la Mutualité sociale agricole (MSA) sur les risques des produits phytosanitaires. Ainsi, les saisonniers, ou encore les enfants d’agriculteurs qui travaillent à temps partiel dans l’exploitation familiale mais sont affiliés au régime général, passent à travers les mailles du filet. De même que les travailleurs migrants ou payés au noir. Tous se retrouvent dans l’angle mort de la prévention et de la réparation des maladies professionnelles.