Le patronat veut sanctuariser l’accord sur la santé au travail
Les fédérations patronales refusent que l’équilibre de l’accord national interprofessionnel sur la santé au travail soit modifié par la proposition de loi en cours d’examen. Elles s’opposent notamment à trois mesures rajoutées dans cette dernière. Suite du feuilleton sur la réforme en cours.
« Nous ne sommes pas du tout d’accord pour que l’Assemblée nationale dénature l’accord national interprofessionnel », prévient d’emblée Michel Chassang, signataire de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail pour l’Union des entreprises de proximité (U2P). « L’ANI, rien que l’ANI » : telle est en résumé la position des représentants des employeurs sur la proposition de loi (PPL) transposant cet accord, déposée le 23 décembre 2020 par les députés LREM Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean. Car si les trois fédérations patronales (U2P, CPME et Medef) ont signé l’ANI, elles désapprouvent fortement trois points de cette PPL. Sollicité par Santé & Travail, le Medef n’a cependant pas souhaité répondre à nos questions.
Une nouvelle obligation jugée contre-productive
Premier point d’achoppement : l’obligation d’élaborer un programme annuel de prévention pour toutes les entreprises. Cette mesure est particulièrement critiquée par l’U2P et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). L’article 2 de la proposition de loi fusionne en effet le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et le plan de prévention. « L’accord ne prévoyait absolument pas l’obligation d’un plan d’action pour les entreprises de moins de 50 salariés, fustige Éric Chevée, vice-président de la CPME nationale. Cette disposition est inadmissible, nous sommes très en colère. » Lors de l’examen de la PPL devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le 9 février, quelques députés sensibles aux arguments du patronat ont proposé un amendement pour protéger les TPE et PME de cette obligation. Amendement rejeté, au grand dam des employeurs. « Cette mesure est contre-productive, elle risque de vider les DUERP de leur contenu », alerte Éric Chevée.
Autre point qui froisse les fédérations patronales, la proposition de loi prévoit que les futurs services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) pourront recourir à des médecins de ville, nommés praticiens correspondants (MPC). Une possibilité mais non une obligation. « Dans l’ANI, il est prévu que les SPSTI doivent avoir recours à ces médecins correspondants », souligne Éric Chevée. L’ANI précise ainsi qu’« en cas de non-respect prévisible des délais de réalisation des visites de suivi, le SPSTI devra justifier auprès de l’entreprise adhérente avoir bien effectué la démarche de recours à un MPC ». « Une proposition de loi sans praticiens correspondants n’aurait aucun intérêt », renchérit Michel Chassang, qui préside par ailleurs un important syndicat de médecins libéraux.
Décloisonner mais pas trop
Enfin, si les employeurs ont soutenu l’idée que les professionnels de santé au travail puissent participer à la santé publique, ils s’étonnent que la proposition de loi prévoie une participation des médecins du travail aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Ces communautés regroupent les professionnels de santé libéraux et hospitaliers qui souhaitent s’organiser autour d’un projet de santé. « Avec les MPC, nous avons libéré du temps médical pour que les médecins du travail puissent assurer la prévention de la désinsertion professionnelle. Ce n’est pas pour les voir s’occuper de missions de service public », observe Éric Chevée. En revanche, une des dispositions de la PPL, qui n’était pourtant pas dans l’ANI, est accueillie favorablement par le patronat : il s’agit de l’accès des médecins du travail au dossier médical partagé des salariés.
Sans prendre explicitement position sur l’accord négocié entre les partenaires sociaux, et sur sa déclinaison dans la proposition de loi, Présanse, organisme représentatif des 240 services de santé au travail interentreprises, se demande pour sa part comment appliquer certaines des dispositions prévues au regard de la pénurie de médecins du travail. « L’instauration d’une visite de mi-carrière à 45 ans, certes une bonne mesure, représente 400 000 visites médicales annuelles de plus, soit l’équivalent de 200 médecins du travail », pointe Martial Brun, directeur général de Présanse. La PPL précise en effet que ces visites de mi-carrière seront assurées par des médecins du travail. « Une souplesse de la loi permettrait d’envisager l’intervention des infirmières en santé au travail, que ce soit pour les visites de mi-carrière ou même certaines visites de reprise, selon des critères à déterminer et sous l’autorité d’un médecin du travail », plaide Martial Brun.
Il faut plus de médecins du travail
Présanse est d’autant plus préoccupé par l’adéquation des ressources médicales aux missions dévolues aux services de santé au travail que leur certification prendra en compte l’effectivité du service rendu. « Des mesures soutenant la démographie des médecins du travail sont nécessaires, le recours aux médecins praticiens correspondants ne peut être la seule solution », ajoute Martial Brun. Présanse demande notamment que les services puissent être considérés comme des terrains de stage pour les étudiants en médecine. Avec l’espoir sans doute de susciter des vocations.