Pénibilité : encore un effort !
Conjuguer la prévention des pénibilités au travail et compenser les inégalités d’espérance de vie liées aux expositions passées, telle est l’une des dispositions phares du rapport Moreau sur l’avenir des retraites. Mais le dispositif n’est pas généreux.
Au moins, à la différence des réformes précédentes, si les partenaires sociaux et le gouvernement suivent le rapport sur l’avenir des retraites préparé par la conseillère d’Etat Yannick Moreau, ils ne devraient pas faire l’impasse sur la pénibilité. C’est l’un des chapitres forts de ce document rendu le 14 juin au Premier ministre, auquel ont participé dix experts, dont Serge Volkoff, membre du comité de rédaction de notre magazine.
Un « compte individuel pénibilité »
Déjà, on retiendra que les deux versants de la pénibilité, la prévention et la compensation, y sont abordés. Ils y sont même liés à travers l’une des principales innovations proposées par les rapporteurs : la création d’un « compte individuel pénibilité ». Ce dispositif unique aurait comme triple objectif de « contribuer à la gestion des parcours professionnels pour éviter qu’un même travailleur poursuive une activité pénible si longtemps que sa santé puisse s’en trouver dégradée à terme, de manière identifiable, durable et irréversible ; aider à la gestion des fins de carrière et au maintien en emploi des seniors exposés à la pénibilité ; permettre de partir plus tôt à la retraite, dans le respect de l’âge légal. », peut-on lire dans le document.
Ainsi, l’exposition aux facteurs de pénibilité déjà listés dans le décret du 30 mars 2011 – parmi lesquels figurent les manutentions manuelles, les postures pénibles, les agents chimiques dangereux, le travail de nuit, ou encore les températures extrêmes… – donnerait aux salariés concernés des points leur ouvrant des droits. Le salarié pourrait « convertir » ces points, soit en temps rémunéré pour se réorienter professionnellement « vers un emploi moins exposant aux facteurs de pénibilité », soit pour passer « à temps partiel en fin de carrière » tout en maintenant son niveau rémunération, soit encore pour « partir plus tôt à la retraite ». Ces droits seraient portables tout au long de la carrière et le nombre de points accumulés serait fonction de la durée d’exposition.
Le système proposé par le rapport Moreau est conçu pour inciter le salarié à rester en activité : le choix d’un départ précoce en retraite « consomme » plus de points, dans un rapport de un à trois, que la reconversion dans un autre emploi. Une volonté qui sera sans doute appréciée par le gouvernement et le patronat.
Les premières estimations de coûts chiffrées par le rapport Moreau avancent la somme de 2 milliards d’euros par an pour ce dispositif. Mais les syndicats pourraient bien trouver que le compte n’y est pas : il faudra trente ans d’exposition à un facteur de pénibilité pour pouvoir bénéficier d’un an de « départ anticipé ». Au regard du dispositif de préretraite amiante, qui permet aux bénéficiaires de partir dix ans avant l’âge légal, cette disposition risque d’apparaître comme très en retrait.
Un dispositif transitoire
Ce dispositif serait mis en œuvre progressivement pour les salariés débutant leur carrière professionnelle à compter de l’entrée en vigueur de la réforme. Pour ceux qui partiront à la retraite dans les prochaines années, un dispositif transitoire serait mis en œuvre. Mais il n’accorderait la validation de trimestres supplémentaires que pour deux pénibilités : le travail de nuit et l’exposition à des cancérogènes. Si, effectivement, ce sont bien les deux expositions professionnelles susceptibles de réduire l’espérance de vie, on peut reprocher aux rapporteurs d’avoir fait l’impasse sur tous les autres facteurs reconnus dans le décret du 30 mars 2011 et qui seront bien pris en compte dans le dispositif stabilisé, notamment les postures pénibles et le port de charges lourdes, qui portent atteinte à l’espérance de vie en bonne santé. En revanche, la compensation est un peu meilleure que dans le compte-temps pénibilité : pour y être éligible, il faut avoir été exposé dix ans minimum à l’une des deux contraintes, mais la bonification est de un trimestre pour quinze trimestres d’exposition, soit de un an pour quinze ans d’exposition.
Observatoire national des fins de carrière
Sur le versant de la prévention, les rapporteurs insistent sur « le sujet spécifique des conditions de travail qui doit faire l’objet d’une attention toute particulière […] C’est un préalable pour permettre effectivement aux travailleurs âgés de poursuivre leur activité professionnelle ». Parmi les outils proposés dans le cadre d’un nouveau plan concerté pour les seniors, on retiendra la création « d’un outil de pilotage, de suivi et de coordination des acteurs publics1, d’un Observatoire national des fins de carrière professionnelles pour mieux connaître les mécanismes de transition emploi-retraite ». De même, les rapporteurs souhaitent accompagner les victimes d’accidents du travail graves ou encore, à l’image des expériences menées aux Pays-Bas, faciliter et anticiper les reconversions de carrière.
1. Directions d’administrations centrales des grands ministères concernés (Travail, Emploi, Fonction publique, Santé), Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), branche accidents du travail-maladies professionnelles de la Sécurité sociale, Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), en lien avec les partenaires sociaux.