Pesticides : un audit européen pointe les dérives françaises
Un audit de la Commission européenne sur l’utilisation des pesticides en France, lancé à la suite d’une pétition de victimes, démontre que notre pays ne respecte pas la directive communautaire sur le sujet. En exposant les travailleurs à des risques.
La directive européenne de 2009 visant une utilisation soutenable des pesticides n’est pas respectée par la France. C’est ce que pointe une récent rapport de la direction générale de la Santé et de la Sécurité alimentaire de la Commission européenne, rendu public fin mars. Ce rapport rend compte d’une mission d’audit menée en Bretagne et dans l’est de la France au printemps 2018, après une pétition portée devant le Parlement européen par des collectifs bretons de victimes de pesticides. Ceux-ci dénonçaient la « non-application des textes européens et les conséquences pour les salariés et les riverains ». Dans un communiqué, ces collectifs estiment le rapport « accablant » pour la France. Leurs représentants avaient été reçus à Rennes en juin 2018 par l’équipe d’audit européenne, puis à Bruxelles par le commissaire européen en charge des questions de santé et de sécurité alimentaire : Vytenis Andriukaitis.
Toujours plus de phytosanitaires
Le rapport d'audit salue « l’objectif très ambitieux » du plan Ecophyto2 élaboré par la France, qui prévoit de réduire l’utilisation des pesticides de 25 % d’ici 2020 et de 50 % d’ici 2025. Mais il souligne que les statistiques de 2016 – les dernières disponibles – montrent une augmentation des ventes de pesticides en France de 12 % sur les dernières années. Les rapporteurs notent que les autorités françaises elles-mêmes reconnaissent la nécessité de changements radicaux dans le modèle agricole pour atteindre l’objectif qu’elles se sont fixées. Mais ils ne peuvent citer en appui aucune décision prise par les pouvoirs publics français, en vue d’inverser la courbe ascendante de l’utilisation des pesticides par l’agriculture. Les rapporteurs recommandent d’ailleurs d’établir des objectifs quantitatifs chiffrés, en ligne avec les prescriptions de la directive européenne sur les pesticides, afin de réduire les risques liés à leur utilisation pour la santé humaine et l’environnement.
En réponse à ces constats, les autorités compétentes françaises reconnaissent ne pas être parvenues à définir un indicateur conforme, accepté par les parties concernées. Elles affirment leur volonté de retirer progressivement du marché les substances dites « préoccupantes », en suivant l’évolution de la classification de celles susceptibles d’avoir des effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR).
Une prévention des risques insuffisante
Des insuffisances et lacunes dans la prévention des risques professionnels liés aux pesticides apparaissent également dans le rapport. Par exemple, certains matériels d’épandage ne sont pas contrôlés. Or 40 % environ de ceux qui l’ont été par la mission d’audit ne sont pas conformes à la réglementation. Ils peuvent malgré tout être utilisés sur des périodes pouvant aller jusqu’à quatre mois. La proposition de la France de réduire le délai d’utilisation de ces matériels de quatre à deux mois ne répond pas à la recommandation des rapporteurs de respecter la directive de 2009.
L’utilisation de ces matériels non conformes intervient sans doute pour une part dans les 409 cas d’intoxications liés aux pesticides enregistrés par la Mutualité sociale agricole (MSA) entre 2011 et 2014 et mentionnés dans le rapport. Un nombre certainement non exhaustif car, comme le révèle le rapport, aucune action spécifique n’est menée pour inciter médecins généralistes et patients à déclarer symptômes et maladies à Phyt’attitude, le système de veille et de prévention mis en place par la MSA. En outre, les contrôles de l’Inspection du travail en Bretagne ont révélé 14 infractions à la prévention des risques liés au stockage et à l’emballage des produits phytosanitaires, ainsi qu’à la mise en place d’équipements de protection individuelle ou à celle de douches pour les salariés manipulant ces produits chez les fabricants et détaillants.
Le sort des victimes écarté de l’audit
Le rapport n’aborde pas spécifiquement les graves pathologies éventuellement subies par les agriculteurs utilisateurs de pesticides, ou les salariés en contact avec ces produits chez les fabricants. A l’instar de ceux de la coopérative Triskalia en Bretagne, qui font partie des victimes ayant lancé la pétition à l’origine de la mission d’audit. « Ces sujets seront examinés hors audit et feront l’objet d’une évaluation distincte », peut-on lire. Le commissaire Vytenis Andriukaitis a transmis des informations à Marianne Thyssen, autre commissaire en charge de l’emploi et des affaires sociales, qui pourrait traiter le sujet, selon Serge Le Quéau, membre de l’Union syndicale Solidaires en Bretagne et porte-parole des collectifs de victimes. Dans un communiqué du 3 avril, ce dernier signale que l’eurodéputée Cecilia Wikström, présidente de la Commission des pétitions, allait adresser une lettre au ministère de l'Agriculture français et à la Commission européenne pour demander des comptes concernant le traitement des victimes de Triskalia et les infractions au droit européen. Lors de l’une des dernières réunions du Parlement européen, le 2 avril, des eurodéputés de tous bords auraient aussi émis le souhait de voir la France mise en demeure de respecter les règles européennes. Mais que décideront les futurs Parlement et Commission, après le prochain scrutin européen ?