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Pesticides et pathologies pédiatriques : une consultation pour lever l’omerta

par Fanny Marlier / 19 novembre 2024

Créée il y a un an au CHU d’Amiens, cette consultation vise à établir le lien entre exposition professionnelle aux pesticides des parents et pathologies des enfants. Une reconnaissance déterminante pour l’indemnisation des préjudices.

Dans son bureau, le médecin du travail Sylvain Chamot voit passer des agriculteurs, des agents d’entretien d’espace verts, ou encore des fleuristes. Parce qu’il souhaite aider ces professionnels et leurs enfants à « faire valoir leurs droits » en tant que victimes, ce praticien du CHU Amiens-Picardie a ouvert en octobre 2023 la première consultation « pesticides et pathologies pédiatriques ». Depuis 2020, les travailleurs exposés à ces substances et leurs enfants malades peuvent prétendre au Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). « Le fond existe parce que des études épidémiologiques ont mis en évidence des augmentations de risques chez les personnes qui utilisent des pesticides dans un cadre professionnel », rappelle-t-il.  
En constatant que trop peu de parents exposés s’en saisissaient, ce médecin du Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE) des Hauts-de-France a ouvert ce dispositif. Financée par le groupe mutualiste RATP, la consultation ne s’adresse qu’aux habitants de la région, mais Sylvain Chamot espère que d’autres verront prochainement le jour un peu partout en France. 

Leucémies et malformations 

Les enfants des familles qu’il accompagne ont été diagnostiqués de leucémies, de tumeurs cérébrales, de malformations de la verge (hypospadias) ou de la bouche (fente labio-palatine), ou de troubles du neuro-développement comme l’autisme. Les services d’onco-hématologie et de chirurgie de l’enfant remettent aux parents un questionnaire permettant de repérer leur potentielle exposition environnementale et professionnelle aux pesticides. 
Lorsqu’un lien est établi avec leur métier, ils sont redirigés vers la consultation dédiée. Sylvain Chamot mène ensuite un bilan poussé pour tenter de caractériser au mieux l’exposition aux pesticides avec lesquels ces professionnels ont pu être en contact. En principe, c’est l’exposition du père dans les six mois qui précèdent la conception, et pour la mère durant la grossesse, qui sont scrutés de près. « Ce référentiel est toutefois discutable, j’ai déjà eu affaire à un dossier où l’exposition du père remontait à trois ans avant la conception », précise-t-il. En fonction de ses constatations, il leur conseille, ou non, de monter un dossier de demande d’indemnisation. 
Les pesticides sont une matière complexe à analyser, ces produits n’ont pas tous les mêmes degrés de toxicité. « Il est difficile d’avoir une idée précise des mécanismes favorisant l’apparition de la maladie chez les enfants, souligne le médecin. C’est important d’expliquer aux parents ces nuances scientifiques et de leur rappeler qu’ils ne sont en rien responsables de la maladie de leur fils ou de leur fille. »

La culpabilité des familles

A Amiens, en un an, 25 questionnaires sont revenus positifs, mais seules 15 familles se sont rendues à la consultation. « Le tabou est tel au sein des familles qu’il agit comme un frein, c’est pourquoi il est urgent de libérer la parole sur cette problématique », insiste Claire Bourasseau, responsable du service d’aide aux victimes Phyto-victimes. L'association, qui soutient les professionnels intoxiqués par les produits phytosanitaires, gère pour l’année en cours une centaine de dossiers dont une dizaine concernant des enfants. 
Parmi les autres obstacles au recours au FIVP, Claire Bourasseau cite une trop faible communication sur l’existence du FIVP ainsi qu’un manque de sensibilisation des médecins. « Les questions d’imputabilité et d’indemnisation ne parlent pas vraiment aux pédiatres et chirurgiens. Faute de temps ou de connaissances adéquates sur le sujet, ils ont du mal à en parler aux patients », observe Sylvain Chamot. 
D’après son dernier rapport d’activité, entre 2021 et 2023, le FIVP a été saisi de 22 demandes d’indemnisation d’enfants exposés au pesticides pendant la phase prénatale. Seuls 6 dossiers ont été retenus, dont un a reçu un avis défavorable. « Si 16 dossiers n’ont pas été retenus par le fond, c’est sans doute qu’ils étaient incomplets, estime Claire Bourasseau. Cela soulève la question de l’accompagnement et du travail que doivent faire les pouvoirs publics avec les associations sur ce point. »

Des indemnisations au compte-gouttes 

Une fois l’avis favorable du fond rendu, il faut compter en moyenne un an et demi avant d’être indemnisé. « Ce délai varie en fonction des Caisses primaires d’assurance-maladie », ajoute la salariée de Phyto-victimes. Cette année, la consultation « pesticides et pathologies pédiatriques » du CHU d’Amiens a accompagné sept familles pour leur demande d’indemnisation. Leurs dossiers sont toujours en cours d’examen par le FIVP, mais le médecin espère obtenir des réponses d’ici quelques mois. Huit autres dossiers n'ont pas fait l'objet d'une demande d'indemnisation, en raison « d'une exposition trop ancienne et d'une difficulté à retrouver précisément les produits phytosanitaires utilisés » comme l’explique Sylvain Chamot.
Autre question émergente chez les familles victimes : en cas de décès de l’enfant, l’indemnisation ne prend en compte que les préjudices subis par les ayants droit. Cette disposition a été contestée par Laure Marivain et son mari devant la cour d’appel de Rennes, le 9 octobre dernier. Après sept années de lutte contre une leucémie, leur fille Emmy est décédée le 12 mars 2022 à l’âge de 11 ans. Laure Marivain alerte depuis ce jour sur les risques méconnus de son ancienne profession, fleuriste. 
Emmy Marivain est le premier enfant dont le décès est reconnu par le FIVP, lequel a proposé aux parents la somme de 25 000 euros chacun. Pour indemniser les souffrances endurées par leur fille avant de mourir, Laure Marivain et son mari réclament plus d’un million d’euros. La décision sera rendue le 4 décembre.

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