Pesticides : les eurodéputés veulent plus de transparence
Le Parlement européen a adopté mi-janvier le rapport d'une commission d'enquête sur la procédure d'autorisation des pesticides. Ce document recommande notamment de rendre les données publiques et de ne pas se limiter à celles fournies par les industriels.
Alors que les alertes se multiplient sur les dangers des pesticides, le rapport de la commission Pest était attendu avec impatience. Censée jauger les procédures d'évaluation et d'autorisation de ces produits au sein de l'Union européenne, cette commission d'investigation a été lancée par le Parlement européen début 2018, à la suite du renouvellement controversé de l'autorisation du glyphosate en 2017, mais aussi de l'affaire dite des "Monsanto Papers" (voir "Repère"). "Notre mission visait à évaluer les dysfonctionnements du système actuel, afin que ce que nous avons vécu avec le glyphosate ne se reproduise plus", rappelle Eric Andrieu, eurodéputé français (PS) et président de la commission Pest.
Cibles du rapport : les près de 500 produits phytopharmaceutiques autorisés à ce jour en Europe. Est visé, entre autres, le glyphosate, présent dans l'herbicide Roundup de Bayer-Monsanto et classé en mars 2015 comme cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Une évaluation scientifique contredite quelques mois plus tard par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l'Agence européenne des produits chimiques (Echa). Or plusieurs enquêtes journalistiques et des ONG, comme Pesticide Action Network (PAN Europe, réseau d'action sur les pesticides) ou Corporate Europe Observatory (CEO, observatoire européen des multinationales), ont pointé par la suite des conflits d'intérêts pour certains des experts scientifiques des deux agences européennes.
Voté à une écrasante majorité
Fruit d'un travail de plusieurs mois d'enquêtes et d'auditions, les 125 recommandations du rapport de la commission Pest visent à répondre à ces critiques et à améliorer le dispositif existant. Elles ont été adoptées le 16 janvier dernier par le Parlement européen avec 526 voix pour, 66 contre et 72 abstentions. "Ce rapport n'est peut-être pas aussi ambitieux que nous aurions pu le souhaiter, mais il comporte de nombreuses demandes formulées par les ONG", précise François Veillerette, directeur de Générations Futures et président du réseau PAN Europe. Parmi les principales mesures proposées figure tout d'abord une nécessaire amélioration de la transparence. "Nous préconisons que les études produites par les industriels soient rendues publiques", explique Eric Andrieu. En effet, arguant du secret des affaires, les fabricants de pesticides ne publient pas les données et études versées dans les dossiers d'homologation examinés par les régulateurs. "Les scientifiques ne peuvent évaluer et critiquer les résultats de l'industrie, puisqu'ils n'ont pas accès aux données brutes", souligne François Veillerette.
Sur le secret des affaires, "abusivement imposé par l'industrie" au détriment de la santé publique selon l'eurodéputée Michèle Rivasi (Europe Ecologie-Les Verts), cette parlementaire, elle aussi membre de la commission Pest, et trois autres membres du groupe Verts-ALE ont déposé plainte contre l'Efsa devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour entrave à l'accès aux données sur le glyphosate. Le 7 mars dernier, la CJUE leur a donné raison et a annulé la décision de l'Efsa de refuser l'accès aux études de toxicité du produit. "Cette victoire de la transparence est essentielle pour le travail des scientifiques, se réjouit Michèle Rivasi. L'Efsa pourra aussi utiliser ce jugement pour se protéger contre les menaces de procès des firmes lorsqu'il s'agira à l'avenir de dévoiler le contenu d'autres études scientifiques."
S'agissant par ailleurs de l'indépendance des scientifiques participant aux procédures d'autorisation, les eurodéputés invitent l'Efsa à exclure tout expert présentant des conflits d'intérêts avec les industriels commercialisant des pesticides. Ils proposent également une désignation de l'Etat membre rapporteur (EMR), chargé de l'évaluation du produit, par la Commission européenne et recommandent à celle-ci de confier à un autre Etat membre l'évaluation d'une demande de renouvellement. "Actuellement, ce sont les industriels qui choisissent l'Etat rapporteur", signale Eric Andrieu. Dans le cas du glyphosate, c'est l'Allemagne et son Institut fédéral d'évaluation des risques (BfR) qui avaient établi le premier rapport d'évaluation sur ce pesticide. Et c'est aussi le BfR qui a évalué la demande de renouvellement du glyphosate. Or cet institut a été accusé d'avoir plagié des pans entiers des rapports émanant des industriels le commercialisant. Sans prendre position sur ce point, les eurodéputés préconisent d'opérer une distinction claire entre l'évaluation menée par l'Autorité et celle fournie par l'industriel. Ils considèrent que l'EMR devrait limiter la reproduction des données des industriels au strict minimum et uniquement dans des cas justifiés et dûment indiqués.
Tenir compte de toutes les études
Enfin, les parlementaires européens estiment que les études scientifiques académiques validées par les pairs devraient être prises en compte au même niveau que les études fondées sur les "bonnes pratiques de laboratoire" (BPL), lors des procédures d'évaluation des pesticides. "Les études académiques sont peu prises en compte, éliminées au motif qu'elles ne respectent pas les BPL", déplore Eric Andrieu. Ces BPL, respectées par les industriels car obligatoires pour les procédures d'enregistrement des pesticides, ne sont pas suivies par les chercheurs académiques. Leurs travaux ne visent pas en effet à obtenir l'homologation d'un produit mais à déterminer sa toxicité éventuelle et ses impacts sur l'environnement. "Les BPL ne sont en rien un critère de qualité scientifique", soutient François Veillerette. D'après une étude de PAN Europe et Générations Futures, sur sept dossiers d'évaluation des risques de pesticides, la quasi-totalité des études académiques ne sont pas prises en compte par les agences de régulation. "Seules les études produites par les firmes sont retenues, alors qu'elles ne sont pas publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture", poursuit le directeur de Générations Futures.
Soucieux des effets des pesticides sur la santé, les eurodéputés jugent également nécessaire de créer un système efficace de vigilance après la mise sur le marché des produits. Ils préconisent de mener des études concernant leurs effets réels sur la santé humaine, notamment sur des groupes vulnérables (travailleurs ou habitants fortement exposés, enfants, femmes enceintes, personnes âgées...), en prenant en compte les effets synergiques entre les produits. Pour répondre à ces enjeux de santé publique, des budgets suffisants devront être alloués aux agences européennes, afin qu'elles puissent "accomplir leurs tâches de façon indépendante, objective et transparente", indique le rapport. Reste à savoir ce que la future Commission européenne fera de l'ensemble de ces recommandations. "Notre rapport a été adopté à une très large majorité. La Commission devra prendre en considération ce vote du Parlement", affirme Eric Andrieu.