Pesticides : le gouvernement bloque le fonds d’indemnisation
L’association Phyto-Victimes, à l’origine d’une proposition de loi votée par le Sénat visant à créer un fonds d’indemnisation, dénonce le blocage du gouvernement. Selon la ministre de la Santé, les connaissances scientifiques seraient insuffisantes.
Le fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides n’est pas près de voir le jour, alerte Paul François, agriculteur et président de l’association Phyto-Victimes. Gravement intoxiqué en 2004 par un herbicide de Monsanto, le Lasso, ce céréalier charentais a réussi à faire condamner la firme en 2012 et défend désormais la cause des victimes des pesticides. Il dénonce aujourd’hui « l’ambivalence, la volte-face du gouvernement Macron ». Un gouvernement qui, bien qu’il ait annoncé dès sa mise en place vouloir « en terminer avec les produits phytosanitaires en agriculture » et « faire de la santé environnementale une priorité », comme le rappelle l’agriculteur, bloque aujourd’hui la création d’un fonds d’indemnisation, « seule voie de réparation pour les milliers d’agriculteurs et de professionnels empoisonnés par les pesticides ».
« Parcours du combattant »
Rapporteure en 2012 d’une mission d’information parlementaire intitulée « Pesticides : vers le risque zéro », la sénatrice PS de la Charente Nicole Bonnefoy avait alors constaté la faible indemnisation des agriculteurs victimes de ces produits hautement toxiques. « Contraints à un long parcours du combattant pour faire reconnaître la maladie professionnelle, ils ne bénéficient, quand ils y parviennent, que d’une petite réparation forfaitaire via la Mutualité sociale agricole et non pas d’une réparation intégrale, comme c’est le cas pour les victimes de la Dépakine par exemple », précise la parlementaire. Avec l’association Phyto-Victimes et son avocat, Me François Lafforgue, elle est à l’origine du projet de création d’un fonds d’indemnisation, abondé par les firmes de l’agrochimie via une taxe sur les ventes de pesticides. En 2016, elle a déposé une proposition de loi en ce sens, dont le texte a été adopté par les sénateurs le 1er février dernier.
« Mais sans le soutien du gouvernement ! », déplore Paul François, qui n’a pas digéré la déclaration de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, le jour du vote. Celle-ci « a affirmé que les connaissances sont insuffisantes sur les effets de ces produits sur la santé et que d’autres études sont nécessaires », indique-t-il. Inadmissible en 2018, selon lui, au vu du nombre de publications scientifiques sur le sujet. Il cite notamment le rapport d’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) paru en 2013, « qui aurait dû conduire à l’interdiction des pesticides comme ce fut le cas pour l’amiante ». L’Inserm a notamment mis en évidence qu’au-delà des deux pathologies inscrites dans les tableaux de maladies professionnelles du régime agricole – le lymphome non hodgkinien et la maladie de Parkinson –, un lien de causalité entre les pesticides et d’autres atteintes était fortement présumé. De quoi justifier la création de nouveaux tableaux pour leur prise en charge.
Le refus de « rendre visible l’invisible »
Publié en avril, un rapport interministériel commandé par le gouvernement et réalisé par trois inspections d’Etat1
évoque lui aussi « un problème majeur de santé publique » et préconise la mise en place d’un fonds d’indemnisation. « La taxe sur la vente des produits phytosanitaires existe déjà, explique Nicole Bonnefoy, mais elle ne s’élève qu’à 4 millions d’euros. L’idée est de l’augmenter afin d’amorcer le financement du fonds. » Le chiffre d’affaires des fabricants de pesticides en France s’élèverait à 2 milliards d’euros par an.
Preuve supplémentaire du blocage du gouvernement pour les promoteurs du fonds d’indemnisation : la proposition de loi votée au Sénat, et qui devrait désormais être soumise au vote des députés, n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Le fond du problème, selon Paul François, n’est pas le financement mais le refus du gouvernement de « rendre visible l’invisible ». « Ce fonds d’indemnisation signifierait pour la première fois que durant cinquante ans les industriels ont menti, que la France a fait le choix du tout-chimie pour garantir une nourriture abondante et bon marché. » Il redoute qu’aujourd’hui le gouvernement ne cède aux pressions des industriels de l’agrochimie.
- 1Inspection générale des finances (IGF), Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER).