Au pied du mur

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François Desriaux rédacteur en chef
/ octobre 2019

C'est une date que retiendra l'histoire sociale : le 11 septembre, la chambre sociale de la Cour de cassation a étendu le bénéfice du préjudice d'anxiété à toutes les expositions aux produits toxiques ayant des effets graves sur la santé. Jusqu'à présent, la jurisprudence restreignait son indemnisation à l'amiante. Toutes proportions gardées, cet arrêt a fait l'effet d'une petite bombe dans les milieux de la santé au travail. D'autant que, deux jours auparavant, les premiers résultats de l'enquête Sumer 20171 ¹ étaient tombés : près de deux millions de salariés sont exposés à des substances cancérogènes sur leur lieu de travail. On imagine donc le potentiel judiciaire d'une telle décision, si tous suivent la démarche des 732 anciens mineurs de fond à l'origine de la procédure devant la Cour de cassation.

Est-ce à dire que ces deux millions de salariés vont pouvoir dès à présent saisir les conseils de prud'hommes et obtenir une indemnisation rubis sur l'ongle ? Que nenni ! Faire valoir ses droits sera complexe. Les demandeurs devront apporter la preuve que leur employeur a violé la fameuse obligation de sécurité de résultat. C'est le point central de l'arrêt du 11 septembre. Les magistrats ont soigneusement analysé les éléments de chacune des parties afin de déterminer si l'employeur, en l'occurrence les Houillères du bassin de Lorraine, avait satisfait ou non à ses obligations, celles énoncées aux articles L. 4121-1 et 2 du Code du travail relatifs à l'obligation de sécurité et à l'application des principes généraux de prévention. Dans leurs conclusions, ils ont estimé que le compte n'y était pas. L'employeur n'a pas démontré qu'il avait mis en oeuvre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs" imposées par la loi. C'est bien l'adjectif "nécessaires" qui fait la portée de la décision : les tribunaux fonderont désormais leur appréciation sur ce point.

Voilà donc les entreprises au pied du mur. Les employeurs comme les représentants du personnel. Les premiers devront agir sur chacun des neuf principes généraux de prévention ; ils ne pourront se contenter de prodiguer des consignes de sécurité aux travailleurs. Ils devront notamment veiller, comme le précise l'arrêt, à prévenir les risques à la source et à adapter le travail à l'homme. Quant aux élus des CHSCT ou des CSE, s'ils estiment que la prévention des expositions aux substances nocives est insuffisante, ils devront, par leurs enquêtes, leurs avis et grâce au soin qu'ils mettront dans leurs démarches, en faire la démonstration. Ils pourront questionner l'ensemble des acteurs de la prévention, dont le médecin du travail, en gardant des traces écrites de leurs dires et recommandations. Ils pourront recourir à une expertise pour risque grave, comme le prévoit toujours le Code du travail dans le cadre du CSE. Certes, il est de bon ton de déplorer les reculs de la nouvelle instance par rapport au CHSCT, qui disparaîtra à la fin de l'année. Mais lorsque la jurisprudence met à la disposition des représentants du personnel un droit nouveau qui peut faire avancer la prévention, il s'agit de ne pas passer à côté.

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    Enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels, menée par le ministère du Travail. Voir l'article page 6.