Les pièges de l'épidémiologie en entreprise
Pourquoi une enquête épidémiologique en entreprise ? Certains comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pensent que ce type d'enquête leur permettra d'appréhender un risque cancérogène dans leur entreprise. Or cette démarche n'est pas sans pièges.
En effet, d'un point de vue méthodologique, une telle enquête suppose de connaître les causes de mortalité des salariés, et donc que ces derniers soient arrivés au terme de leur vie. Et compte tenu du temps nécessaire à l'enquête, celle-ci démontrera le risque a posteriori, sur la base d'une organisation du travail qui aura peut-être changé entre-temps. L'enquête devra aussi s'intéresser aux "absents", ceux qui ne sont plus en activité ou qui ont été exclus du travail suite à des problèmes de santé. De même, les tâches les plus à risque sont habituellement sous-traitées ou effectuées par des travailleurs précaires, rejetés rapidement hors de l'entreprise. Or, bien souvent, les enquêtes dans les grandes entreprises ne concernent que le noyau stable du personnel, sans prise en compte des salariés sous-traitants, ce qui ne permet pas d'évaluer la réalité du risque cancérogène. A l'inverse, une enquête sérieuse portera sur des groupes humains qui dépasseront forcément la seule dimension de l'entreprise, au risque, alors, de gommer les spécificités des situations ciblées par le CHSCT.
Indépendance. Les conséquences juridiques liées à la mise en évidence d'un risque sont telles que les entreprises seront également tentées de peser sur l'enquête pour en limiter les résultats. Seuls l'indépendance de l'organisme intervenant et un protocole garantissant aux représentants du personnel l'accès aux résultats de l'étude permettront d'éviter des déceptions.
Enfin, du point de vue de la prévention, faire appel à l'épidémiologie en entreprise pour la prise en compte du risque cancérogène est "risqué". Surtout si les attentes que sa mise en oeuvre produit subordonnent l'action de prévention du CHSCT. Celle-ci ne saurait être conditionnée par la production de connaissances supplémentaires, longues à acquérir. Elle doit s'appuyer sur les connaissances scientifiques existantes. Avec l'épidémiologie, rien n'est jamais acquis, et les rythmes selon lesquels elle produit des connaissances n'ont rien à voir avec les temporalités des acteurs des entreprises. D'où cette plaisanterie de militants de CHSCT : quand une direction veut esquiver une question de santé au travail, elle propose une étude épidémiologique et gagne ainsi de cinq à dix ans !