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Plans santé au travail : quelle efficacité ?

par Nolwenn Weiler / 11 février 2022

Alors que le gouvernement vient de lancer le quatrième plan santé au travail – le PST4 – plusieurs experts s’interrogent sur l’utilité réelle de ces grands chantiers qui mobilisent un grand nombre d’acteurs de la prévention des risques professionnels. Mais pour quels résultats ?

Selon nos informations, l’exécutif s’apprête à annoncer très prochainement un plan d’actions consacré aux accidents graves et mortels, qui viendra préciser cet axe transversal du quatrième plan santé au travail (PST4). Adopté en décembre 2021, le PST4 doit couvrir une période allant jusqu’à 2025. Il aura « des effets durables et visibles sur la santé des travailleurs », promet Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat aux retraites et à la santé au travail, qui ambitionne de « faire de la France un pays exemplaire en matière de santé au travail »1 . Mais ce nouveau plan est-il à même de répondre à cette ambition ?
Pas sûr, si l’on en croit le bilan du précédent, le PST3, qui couvrait les années 2016-2020. De quoi s’agit-il ? Sur plus de 250 pages, ce document publié en juillet dernier décrit un catalogue d’initiatives, fort nombreuses et très éparses : outils numériques d’évaluation des risques, projets régionaux contre les chutes de hauteur, pages web dédiées aux troubles musculosquelettiques, concours vidéo pour les jeunes… « Le bilan met en avant des indicateurs d’activité et non des indicateurs de résultat », regrette William Dab, professeur titulaire de la chaire hygiène et sécurité du Conservatoire national des métiers (Cnam) et ancien directeur général de la Santé. Quant au PST4, « c’est une déclaration d’intention plus qu’un plan opérationnel », ajoute-il. Notamment parce qu’il n’a pas de budget dédié. Cette absence de financement est, pour Yves Roquelaure, professeur de médecine du travail au CHU d’Angers, le principal défaut de ces feuilles de route, qui présentent cependant l’avantage d’avoir « un effet structurant pour la recherche » : « Elles ont fait éclore la santé au travail comme un sujet digne d’intérêt, inscrit dans la santé publique », remarque-t-il.

« Pas de tableau de bord »

« Ces plans ne règlent pas le problème de fond que l’on a en France, à savoir l’invisibilité des risques professionnels, reprend William Dab. Les reconnaissances en maladies professionnelles donnent un aperçu partiel de la situation, les accidents du travail déclarés également. Mais nous n’avons pas de tableau de bord et le PST4 ne vient pas combler cette lacune. » « Les PST ne sont pas réellement évalués car ils ne sont pas évaluables », abonde Yves Roquelaure. Contrairement au précédent, le PST4 mentionne toutefois quelques indicateurs de résultat. Citons, par exemple, le nombre de documents uniques d’évaluation des risques (DUER) qui seront déposés sur le portail web dédié, ou le nombre de personnes formées à la conception et la réalisation des chantiers en sécurité pour prévenir les chutes de hauteur. Mais ces indicateurs, très divers d’un chapitre à l’autre, ne présentent pas d’efficacité réelle selon William Dab. « Tant de millions d’heures de formation, à quoi cela sert concrètement ? », interroge-t-il.
On peut effectivement se poser la question au regard des chiffres, alarmants, du rapport annuel 2020 de l’Assurance maladie concernant les risques professionnels : plus d’un million d’accidents du travail, dont plus de 25 000 ayant entraîné une incapacité permanente ; 550 décès au travail auxquels s’ajoutent 221 morts dans des accidents de trajet. Pourtant, le bilan du PST3 se félicite qu’en 2019, « près d’un million de salariés ont bénéficié de la formation continue en santé et sécurité au travail ». Qu’en pense la direction générale du Travail (DGT), au ministère ? Difficile à dire. Contactée par Santé & Travail, elle n’a pas répondu.

Rien sur les difficultés rencontrées par le CSE

Or, ces dernières années, « la santé au travail a été bouleversée par un grand changement : la fusion des instances représentatives du personnel CHSCT, CE et DP, intervient Vincent Jacquemond, directeur associé au sein du cabinet d’expertise Secafi, habilité auprès des CSE. C’est surprenant de ne rien lire, dans le PST4, sur l’impact de cette fusion. » D’autant plus que le rapport du comité d’évaluation des ordonnances travail de 2017, publié en décembre 2021, souligne les difficultés posées par ce regroupement, comme l’a relaté Santé & Travail (voir cet article). Or le nouveau plan ne s’empare pas du sujet : « Il aurait pu en faire un axe d’amélioration, par exemple en promouvant, dans les accords de dialogue social, la mise en œuvre de commissions santé, sécurité et conditions de travail de proximité », suggère l’expert de Secafi. Si le PST4 mentionne un objectif d’impliquer les CSE dans l’évaluation des risques professionnels, ceci se heurte à la façon dont ont été déclinées les ordonnances sur le terrain : « Dans les entreprises ayant plusieurs sites, qui ont mis en place des CSE nationaux, il y a une réelle difficulté à débattre du DUER au sein d’instances très éloignées du terrain, précise Vincent Jacquemond. On a des représentants du personnel qui ne peuvent pas connaître les postes de travail. »

Changer le regard des entreprises

Le plan spécifique dédié aux accidents graves et mortels qui viendra bientôt compléter le PST4 permettra-t-il de corriger le tir ? Rien n’est moins certain. Car lui aussi risque d’avoir le défaut de compiler des actions éparses, sans proposer de modifications structurelles, à même d’avoir un impact réel sur les conditions de travail. Selon William Dab, il faudrait changer d’état d’esprit : « Il faut faire comprendre aux chefs d’entreprise que la prévention, c’est un investissement et non un coût. Pour cela, on pourrait proposer des modèles pour calculer le retour sur investissement. L’OPPBTP [Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux public, NDLR] l’a fait, à partir de 300 études de cas. Ils ont conclu qu’un euro investi en rapporte 2,3 au bout de 18 mois. Ce genre d’initiative est réellement à même de changer le regard sur la prévention. » Mais rien de tel n'apparaît dans la nouvelle feuille de route.

 

  • 1Citations extraites des textes introductifs au PST 4 et au bilan du PST3.