Le poids des conditions de travail dans l'émancipation des agricultrices
En vingt-cinq ans, la situation des agricultrices a nettement évolué, passant de sans-statut à travailleuses déclarées au régime agricole. Si la société reconnaît désormais leur travail, cette avancée majeure se limite à la question de l'emploi. Mais qu'en est-il au niveau des conditions de travail ? Les observations qui suivent ne sont pas le résultat d'une étude statistique mais le reflet de situations vécues par des agricultrices rencontrées au cours de plusieurs interventions ergonomiques. Globalement, l'arrivée de nouvelles techniques a permis aux agricultrices d'accéder à certaines tâches autrefois affectées aux hommes et de soulager leurs conditions de travail. Cependant, si l'on constate une évolution vers une parité professionnelle, une exploitation exclusivement féminine semble difficilement viable.
Ainsi, dans le maraîchage biologique, les femmes sont à la tête de nombreuses exploitations. Or une étude menée en Haute-Savoie pour une association chargée du développement de l'agriculture biologique a montré qu'il était nécessaire pour les maraîchères de s'associer avec des hommes pour l'entretien des machines et les manutentions de charges lourdes. Pour plus d'autonomie, certaines choisissent d'organiser leur exploitation en privilégiant les travaux manuels par rapport aux travaux mécanisés, comme le désherbage, les plantations, le ramassage des récoltes, même s'ils exigent des gestes répétitifs et des postures pénibles. Mais ces choix vont dégrader directement leur santé ; la plupart des femmes rencontrées souffrent de troubles musculo-squelettiques aux épaules, coudes et poignets. Ces pathologies douloureuses et invalidantes impactent plus largement la charge de travail quotidienne et les inquiètent pour leur avenir.
Déplacer les limites
L'amélioration des conditions de travail peut néanmoins déplacer les limites des rapports sociaux de travail, les femmes voyant leur situation évoluer tant sur le plan de l'égalité professionnelle que de leur santé. Ainsi, dans les alpages isérois, l'amélioration des conditions d'hygiène des habitats a transformé le métier de berger, traditionnellement masculin. Aujourd'hui, de nombreuses bergères travaillent seules à la tête de troupeaux de plusieurs centaines de bêtes. Autre exemple : dans une exploitation horticole de Haute-Savoie, les associé(e)s ont choisi collectivement d'investir dans un nouveau bâtiment et d'utiliser un transpalette et un gerbeur, ce qui permet à chacun et chacune de manutentionner de lourdes caisses tout en prévenant les lombalgies.