"Pour une politique d'entreprise sur le coeur du travail"
Sociologue et coorganisateur d'un colloque pluridisciplinaire sur les risques psychosociaux, qui s'est déroulé en juin, il en souligne l'objectif original : approfondir le dialogue entre chercheurs et acteurs du monde de l'entreprise. Pari tenu.
Vous avez coorganisé le colloque du DIM Gestes sur les risques psychosociaux (RPS), qui a réuni 350 participants les 11 et 12 juin (voir "Repères"). Dans quel esprit a-t-il été conçu ?
Arnaud Mias : Le colloque a clos un cycle de quatre années de rencontres organisées par le DIM Gestes, un programme auquel sont associés une trentaine d'équipes et de laboratoires et dont l'objectif est de diffuser le plus largement possible les recherches liées à l'évolution du travail. Nous voulions, avec cette dernière rencontre, dresser un bilan des initiatives et des connaissances autour des RPS, en y associant médecins et inspecteurs du travail, personnels de santé au travail, consultants, formateurs, DRH, syndicalistes... Toute une série d'initiatives ont été prises, notamment dans les grandes entreprises. Le but était donc de contribuer à analyser ce qui a fonctionné ou non, en confrontant des points de vue différents sur une même réalité, avec la volonté d'équilibrer les temps et espaces de parole entre les chercheurs et les acteurs du monde de l'entreprise. En cela, il s'agissait aussi d'approfondir et d'éprouver des rapprochements qui se sont esquissés ces dernières années.
Sur quels thèmes avez-vous organisé cette rencontre entre théoriciens et praticiens du monde du travail ?
A. M. : Plusieurs approches ont été proposées pour favoriser la confrontation et l'expression de la pluralité des points de vue. L'une portait sur l'analyse des initiatives et des dispositifs, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre à tous les échelons d'un accord central sur les RPS à Aéroports de Paris, ou, à l'inverse, dans le cas de l'unité de montage de Renault à Flins, d'une expérimentation localisée qui a vocation à être élargie. La réflexion a également été engagée sur les pratiques et les acteurs. Comment, par exemple, un médecin de pathologie professionnelle en CHU ou un psychologue, dans le face-à-face d'une consultation, peut-il contribuer à faire émerger une politique de prévention, avec des conséquences sur l'organisation du travail ?
En second lieu, le colloque a donné l'occasion de s'interroger sur les modèles théoriques et la manière dont on appréhende les risques psychosociaux. Quelles sont les théories mobilisées par les acteurs du monde du travail ? Sont-elles appropriées à la réalité de terrain, notamment dans les situations atypiques, comme dans les très petites entreprises ou les commerces ?
A partir de ce constat, est-il possible de faire émerger de nouvelles pistes concernant l'évaluation et la prévention des RPS ?
A. M. : Beaucoup d'outils existent sur les RPS ; il s'agit maintenant d'en promouvoir des usages appropriés. Le colloque a fait ressortir la nécessité d'une véritable politique d'entreprise en la matière, qui porte sur le coeur du travail. Cette action sur le travail passe par la création de lieux de dialogue qui permettent d'instaurer une parole productrice de décisions et de solutions d'organisation. C'est une refondation qu'il faut envisager : les entreprises sont aujourd'hui saturées d'espaces de communication, mais trop peu d'espaces de discussion existent, qui plus est sur le travail, qui soutiennent le développement d'une pensée complexe. Aborder ces enjeux à partir des projets développés dans les entreprises et de leurs effets sur les ressources et les contraintes du travail est sans doute une façon efficace d'intéresser les directions. Certes, la perspective d'une telle refondation est lointaine, mais des initiatives sont engagées ici ou là, à partir desquelles des apprentissages sont possibles. Reste le risque que le temps long de ces expériences soit perturbé par les restructurations incessantes des entreprises.