Polyvalence à risque pour les journalistes
Mauvaise nouvelle : d'après une récente étude, les pros de l'info sont de plus en plus stressés et fatigués. Car les mutations des médias génèrent pression temporelle et charge de travail accrues, journées à rallonge, menaces sur l'emploi...
Les transformations affectant les médias influent-elles sur les conditions de travail et la santé des journalistes ? Oui, constate le cabinet d'expertise Technologia, qui a rendu publique en octobre une étude (voir "Sur le Net") réalisée en partenariat avec le Syndicat national des journalistes (SNJ). Les trois quarts des 1 135 journalistes ayant répondu à cette enquête en juin et juillet dernier font état d'une augmentation de leur charge de travail, liée notamment à la polyvalence et à la multicompétence attendues. La part de ceux estimant devoir travailler plus vite est passée de 72 % à 81 % depuis une enquête analogue1 , menée en 2011. En cause, les réductions d'équipes et de budgets, la multiplication des "supports" à alimenter et - addiction avouée par certains - le suivi de l'information en continu. "De plus en plus souvent, par manque de moyens et surtout d'effectifs, on enchaîne les périodes chargées et on arrive à des situations de "grosse fatigue". Nos cadres proches ne sont pas épargnés", témoigne un journaliste de l'audiovisuel. Dotés par leur direction d'un téléphone portable, des journalistes de presse doivent prendre des photos, voire des vidéos, ainsi qu'alimenter sites Internet et blogs en plus de leur travail habituel.
"Clignotants au rouge"
Près de la moitié des journalistes déclarent travailler entre 8 et 9 heures par jour, 19 % (et même 30 % dans les radios) plus de 10 heures. Et ce, sans récupération pour près de la moitié d'entre eux. Sur l'ensemble des répondants, 37 % travaillent de nuit occasionnellement et 11 % régulièrement. Mais ils ne sont que 2 % à assurer qu'ils ont un compte pénibilité. Et 20 % seulement ont connaissance d'un plan de prévention des risques dans leur entreprise. Dans leur quasi-totalité (94 %), les journalistes reconnaissent s'être sentis très fatigués ou stressés par leur travail au cours des douze derniers mois. "Fatigue et stress : les clignotants restent durablement au rouge", avertit Technologia. En période tendue, les recours sont les proches (48 %), le sport, le sommeil, mais aussi le tabac, l'alcool, l'alimentation, l'isolement et, pour 17 % seulement, le médecin. Autre échappatoire : le changement de métier, envisagé par 14 % des journalistes, en particulier parmi les nombreux pigistes (rémunérés à la tâche) qui manquent de travail et de revenus suffisants.
Le métier connaît pourtant des motifs de satisfaction. Près de 90 % des journalistes peuvent proposer des sujets à leur hiérarchie. Pour plus des trois quarts des sondés, le travail demandé est en accord avec leur éthique et leur donne le sentiment d'être utiles au public, lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes... Malgré une ambiance dégradée, une majorité souligne la coopération entre collègues et le soutien du responsable hiérarchique. Quelque 60 % des répondants se sentent reconnus comme contributeurs d'une information de qualité. Ces éléments positifs, note Technologia, constituent des "facteurs importants de stabilisation psychologique et de prévention des risques psychosociaux". Mais les journalistes indiquent avoir été confrontés à des menaces sur l'emploi (48 %), le poste (33 %) et/ou la rémunération (31 %) ainsi qu'à des mobilités géographiques contraintes (16 %). Et ils sont encore plus nombreux à craindre ces menaces pour l'avenir. D'autant plus que ces changements, affirment-ils, sont généralement imposés, rarement annoncés et encore moins anticipés. Conséquence : les journalistes sont 80 % à considérer qu'ils sont exclus du débat sur l'avenir de leur "métier passion".
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Cette étude relevait "le changement de mode de consommation de l'information par les publics, la remise en cause des modèles économiques des médias et la rupture du métier de journalisme", due à la circulation de l'information hors médias, sur les réseaux sociaux.
L'enquête Changements et évolutions des métiers du journalisme (2010-2015) est consultable sur le blog du cabinet d'expertise Technologia : www.technologia.fr/blog, rubrique "Etudes".