Pompier, un métier à fort risque cancérogène
Cet été, le Centre international de recherche sur le cancer a classé l’exposition professionnelle des soldats du feu comme étant cancérogène. Il devient urgent de renforcer les mesures de prévention, encore trop timides aujourd’hui ou peu appliquées.
En plein été, alors que les pompiers luttaient contre les feux de forêt, de la Gironde à la Bretagne, l’information est passée inaperçue. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a pourtant classé comme cancérogène l’exposition professionnelle des pompiers. Les scientifiques de huit pays, qui ont analysé des dizaines d’études épidémiologiques, disposent de preuves « suffisantes » pour établir une relation causale avec le mésothéliome (cancer de la plèvre dû à l’amiante) et le cancer de la vessie, et « limitées » pour les cancers du côlon, de la prostate et des testicules, ainsi que pour le mélanome et le lymphome non hodgkinien.
Pour les 280 000 soldats du feu français, professionnels ou volontaires, répartis dans quelque 6 500 centres de secours, cette évaluation ne devrait pas être une révélation. En 2007, le Circ avait déjà classé la lutte contre les incendies « probablement » cancérogène. Et, en 2017, un rapport publié par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) montrait une surmortalité par cancer liée à l’exposition chronique aux fumées. A la suite de ce rapport, en 2018, la CGT des Services départementaux d’incendies et de secours (Sdis) du Nord a porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, réclamant notamment la mise en place de fiches d’exposition individuelle aux substances toxiques. Une plainte « classée sans suite en 2022 », regrette Angelo Carlucci, délégué CGT des pompiers du Nord. « Mais nous allons nous porter partie civile, en nous appuyant sur le dernier classement du Circ », rajoute-t-il.
De multiples expositions
Les pompiers sont exposés aux fumées, aux produits de combustion comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques1
et les particules, aux émanations de matériaux de construction comme l’amiante, aux produits chimiques des mousses anti-incendie, aux retardateurs de flamme… Et selon le Circ, les équipements de protection individuelle (EPI) – tenues de feu et appareil respiratoire – ne sont pas en mesure d’empêcher l’absorption cutanée ou l’inhalation de ces substances toxiques, « en raison des limites de leur conception » mais aussi « de leur entretien ou de leur décontamination ». Confrontés aux émanations toxiques pendant l’incendie, les pompiers le sont aussi après, indirectement, du fait de la contamination de leur tenue et des matériels utilisés.
Quant à l’appareil respiratoire isolant (ARI), il est peu porté pendant les feux de forêts, regrette le Circ. « Personne n’avait d’ARI cet été en Gironde ou dans l’Aveyron ! », confirme Sébastien Delavoux, animateur du collectif fédéral CGT des Sdis, qui précise : « Dès que tu entres dans le feu, tu manques d’oxygène, tu es ralenti. Quand tu tires des tuyaux sur des terrains accidentés, dans une chaleur extrême, l’autonomie d’un ARI n’est que de vingt minutes pour une bouteille pesant 12 kilos. Un poids qui s’ajoute à celui de la surtenue et du casque, c’est intenable ! »
Le rapport CNRACL était assorti de 43 préconisations. « Elles ne sont pas appliquées, cela fait cinq ans qu’on se fait balader par l’administration, déplore Angelo Carlucci. On attend toujours les fiches individuelles de suivi d’exposition aux fumées. » Il était aussi recommandé de retirer sa tenue et ses chaussures après chaque intervention, d’en changer, d’équiper les camions de douches mobiles pour pouvoir se laver sur place… « Cela se fait en Belgique, mais pas chez nous ! », indique le syndicaliste.
Culte du héros
Beaucoup de centres de secours ne sont même pas équipés d’une machine à laver et nombre de pompiers rapportent leurs tenues chez eux pour les laver. Rares sont les centres où des sens de circulation ont été aménagés, avec des filières « propre » et « souillée », et avec une décontamination systématique. « Sur les incendies de cet été, certains n’avaient même plus de quoi se changer et remettaient des tenues souillées », témoigne Sébastien Delavoux.
Médecin-chef du Sdis des Bouches-du-Rhône, Christian Poirel reconnaît qu’« il y a encore beaucoup de chemin à faire » et qu’il faut davantage de moyens et de personnel pour assurer une prévention efficace. Mais il dresse un tableau plus encourageant : « Il y a heureusement un changement de culture. Quand j’ai débuté en 1992, un bon pompier se devait d’aller au feu sans ARI et de rentrer à la caserne avec la gueule noire. Aujourd’hui, c’est celui qui rentre tout propre. Et le port de l’ARI est entré dans les mœurs pour les feux d’ordures, de voitures, de construction. » Christian Poirel insiste aussi sur « le suivi médical très régulier, dont disposent les pompiers français, avec une visite tous les deux ans pour les moins de 38 ans et tous les ans au-delà, ainsi qu’un dépistage des maladies chroniques ». La traçabilité des expositions « se met en place », assure-t-il, tout en considérant que c’est lourd et complexe. « Par exemple, il y a un incendie de dépôt d’ordures ménagères qui dure quinze jours : certains pompiers y ont passé de nombreuses heures, d’autres très peu. Où placer le curseur d’exposition ? Et pour un pompier qui fume deux paquets de cigarettes par jour depuis trente ans et chez lequel on décèle une tumeur de la vessie, comment répartir les responsabilités ? »
« On essaie toujours de nous faire douter en nous parlant du tabagisme ! », retorque Sébastien Delavoux qui pointe une omerta persistante dans la profession sur les risques de cancer. « En France, l’écrasante majorité des pompiers (79 %) sont des volontaires. On a du mal à les fidéliser – à huit euros de l’heure – et à recruter. Alors on évite de parler des risques de cancer, de l’amiante », estime-t-il. Le syndicaliste constate également un manque de sensibilisation des agents. « Les pompiers se croient inoxydables et gardent un culte du héros. Mourir en allant au feu c’est noble ; attraper un cancer, ça l’est beaucoup moins, cela reste un tabou. »
- 1Constituants naturels du charbon et du pétrole, ou qui proviennent de la combustion incomplète de matières organiques telles que les carburants, le bois, le tabac.