« Une posture fataliste devant le bruit au travail »
Expert sur les questions de santé au travail pour la Fondation Jean-Jaurès, Romain Bendavid s’alarme des insuffisances de la prévention contre les nuisances sonores au travail. Plus de la moitié des travailleurs sont concernés par ce risque.
Dans une note d'analyse pour la Fondation Jean-Jaurès, vous dressez un état des lieux des conséquences des nuisances sonores au travail, en vous appuyant sur les enquêtes de l’association Journée nationale de l’audition (JNA). Quels sont les travailleurs les plus touchés ?
Romain Bendavid : Plus de la moitié des actifs en poste, salariés ou indépendants, sont gênés par le bruit au travail, à différents degrés. On observe un premier clivage générationnel. Les personnes d’âge intermédiaire, entre 35 et 49 ans, sont davantage impactées. Ce sont notamment des personnes qui ont des enfants en bas âge et qui subissent une double exposition, bruit au travail mais aussi à la maison. Le deuxième clivage est social et sectoriel : les agents du secteur public déclarent davantage être gênés par le bruit ainsi que les ouvriers. Les deux tiers des ouvriers sont exposés à ce risque professionnel, notamment dans le secteur du BTP. Par ailleurs, avec le développement du travail à distance depuis la crise sanitaire, une autre catégorie de professionnels se plaint davantage des nuisances sonores : les télétravailleurs hybrides qui exercent à distance deux ou trois jours par semaine. Le fait d’avoir découvert le calme, en exerçant leur activité en dehors du bureau, les rend moins tolérants à des environnements plus bruyants sur site. Ils sont incommodés par les conversations entre collègues, téléphoniques et en visioconférence, ou encore par les allées et venues des personnes. Le temps passé dans les transports pour se rendre au travail constitue également une source de stress supplémentaire. C’est un ressenti à prendre en compte à l’heure où les employeurs demandent aux salariés en télétravail de revenir davantage au bureau.
Quelles sont les conséquences sur la santé de cette exposition au bruit ?
R. B. : Les nuisances sonores provoquent du stress, de l’irritabilité, de la fatigue et de la charge mentale. Elles entraînent des gênes auditives pour 33 % des salariés interrogés, lesquels estiment que le bruit au travail pourrait engendrer des acouphènes, pour 30 % d’entre eux, et de la surdité, pour 25 %. Le questionnaire ne cherche pas à diagnostiquer un symptôme mais à mesurer le risque provoqué par ces nuisances selon les interviewés. Néanmoins, les salariés concernés réagissent en général tardivement, quand les acouphènes sont déjà installés par exemple. Seulement 19 % des personnes qui souffrent d’acouphènes bénéficient d’une reconnaissance de travailleur handicapé. A terme, les nuisances sonores peuvent également augmenter les risques cardiovasculaires, comme l’hypertension artérielle. Au-delà des soucis de santé, elles diminuent la performance et la productivité. Et elles dégradent le tissu relationnel dans les environnements de travail.
Comment expliquer l’absence de prévention de ce risque professionnel ?
R. B. : Ces nuisances sont occultées par une proportion importante d'employeurs, mais aussi par les salariés eux-mêmes, qui adoptent une posture fataliste, se sentent démunis, comme s’il fallait faire avec. Pour éviter d’affronter un environnement bruyant, des personnes partiellement en télétravail peuvent demander à l’être davantage. Mais peu de choses sont réalisées dans les entreprises pour s'attaquer frontalement au bruit, hormis dans des secteurs comme le BTP qui ont une politique volontariste de prévention ancienne. C’est beaucoup moins le cas dans des petites entreprises du commerce par exemple, où la prévention des nuisances sonores n’est pas encore un réflexe.
Globalement, les employeurs se préoccupent davantage des troubles musculosquelettiques (TMS) ou des risques psychosociaux (RPS), potentiellement générateurs d’arrêts maladie. Mais si on ne sollicite pas forcément un arrêt de travail quand on est gêné par le bruit, celui-ci peut aussi contribuer aux RPS et TMS. La moitié des actifs estime certes que leur employeur prend suffisamment en compte la gêne occasionnée par le bruit. Mais parmi les mesures de prévention les plus citées par les travailleurs, on trouve la mise à disposition de moyens de protection individuels comme les casques antibruit ou les bouchons d’oreilles : 31 % des actifs déclarent que leurs entreprises proposent ces équipements. En revanche, seulement 26 % des personnes interrogées mentionnent le recours à des solutions plus radicales comme la réorganisation des locaux. Avec le développement du flex office, nous sommes pourtant précisément dans une période où l'organisation des espaces de travail devrait être repensée.