Ces poussières que l’Etat ne peut plus mettre sous le tapis
Depuis un arrêt du Conseil d’Etat de juillet 2020, le gouvernement est censé proposer de nouvelles valeurs limites d’exposition professionnelle en milieu confiné pour les poussières sans effet spécifique. Un défi qu’il tarde à relever sous la pression des industriels.
Quand paraîtront les nouvelles normes définissant la quantité maximale de poussières que peut respirer un travailleur en huit heures de labeur ? « Très prochainement », a promis Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat chargé des retraites et de la santé au travail, dans un courrier envoyé à la CFDT le 29 mars dernier. Il serait plus que temps. Car voici près d’un an que le Conseil d’État a sommé le gouvernement de revoir ces normes, et six mois déjà que le délai accordé pour le faire a été dépassé. « Le gouvernement est dans l’illégalité depuis le 29 janvier dernier », résume Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint de la Fédération générale transports et environnement de la CFDT (FGTE-CFDT), à l’origine de deux recours déposés au Conseil d’Etat sur le sujet des poussières sans effet spécifique (PSES).
Tout commence en 2015, avec la publication d’un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur la pollution chimique de l’air dans les couloirs du métro. Parmi les risques identifiés : les fameuses PSES, susceptibles de provoquer des maladies respiratoires et cardio-vasculaires. Celles-ci se distinguent des poussières à effet spécifique (PES), qui peuvent être cancérigènes par exemple. « Le problème avec les PSES, c’est la masse de poussières respirées, qui provoque des effets liés à la surcharge en particules », décrit Henri Bastos, expert à l’Anses. Si on en inhale au-delà d’un certain seuil, « on dépasse la capacité de l’organisme à pouvoir les éliminer ; et cela provoque une inflammation chronique », ajoute-il. On classe les PSES en deux catégories : les poussières « inhalables » (comprises entre 1 et 100 µm de diamètre) et les « alvéolaires » (comprises entre 1 et 4 µm). Dès 2015, l’Anses suggère « d’envisager une révision » de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) pour ces poussières (définie par l’article R. 4222-10 du Code du travail).
Des travailleurs 100 fois moins protégés
« Pour le moment, dans les locaux confinés, tels que les couloirs et tunnels de métro, les concentrations moyennes en PSES ne doivent pas dépasser 10 et 5 milligrammes par mètre cube d'air. Soit 10 000 et 5 000 µg/m³. Or, 5 000 µg/m³ c’est 100 fois plus que les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé concernant les concentrations de particules fines respirées par le grand public », proteste Patrick Rossi, responsable santé et travail à la FGTE-CFDT. Non incluses dans les PSES, les particules fines sont d’une taille comparable aux plus petites d’entre elles et ont des effets sanitaires similaires, à savoir maladies respiratoires et maladies cardiovasculaires, voire cancers. « Ces différences de traitement peuvent se comprendre dès lors que les travailleurs portent des équipements de protection, remarque Sébastien Mariani. Mais dans les couloirs et tunnels de métro, personne n’en porte. »
Pour être protégés, les travailleurs du métro – conducteurs, personnels de station, etc. – devraient ainsi tous porter des masques FFP3… La CFDT préfère plancher sur une réduction de la pollution à la source et exige donc une révision de la VLEP. En 2017, le syndicat dépose un premier recours en ce sens. Sa demande est rejetée au motif que le gouvernement a commandé un rapport à l’Anses sur le sujet, précisément pour l'aider à définir une nouvelle norme. Mais l’affaire continue de traîner. Fatiguée d’attendre, la CFDT dépose un nouveau recours en avril 2019. Et en juillet 2020, le Conseil d’État lui donne raison. Entre-temps, la fameuse étude de l’Anses est sortie : elle recommande une révision drastique de la VLEP sur les PSES, avec une division par deux et par cinq des normes actuellement définies par le Code du travail.
Panique au sommet de l’Etat
Depuis, au sommet de l’État, c’est un peu la panique. « Nous avons lancé l’offensive sur les travailleurs du métro, où l’air est particulièrement pollué, notamment dans les tunnels, mais il y a beaucoup d’autres secteurs concernés, détaille Patrick Rossi. Beaucoup de métiers provoquent des dégagements de poussières. » Citons les abattoirs, la carrosserie, la plasturgie, la fabrication d’engrais, la boulangerie, la forge, l’installation de machines industrielles, le traitement et l’élimination des déchets… Bref, des millions de travailleurs et travailleuses, et des entreprises par milliers qui devront engager d’importants travaux.
Une grande partie des systèmes de ventilation collectifs et des équipements individuels devront être corrigés. Il faudra peut-être aussi revoir les cadences de travail, car les efforts physiques intenses que produisent les travailleurs peuvent multiplient par trois, quatre ou dix les volumes d’air inhalés. « Les atermoiements du gouvernement pour la redéfinition de la VLEP sont clairement liés à un lobbying intense des industriels », avance Sébastien Mariani. « Il faut que le gouvernement passe à l’action, insiste Patrick Rossi. On ne voudrait pas être obligés d’attendre les 100 000 morts de l’amiante pour qu’il se passe quelque chose. »