Préretraite : l'UMP et la CGT s'opposent sur la pénibilité
Le rapport parlementaire "Prévenir et compenser la pénibilité au travail", présenté le 27 mai par le député UMP des Yvelines Jean-Frédéric Poisson, a suscité de nombreuses réactions. Son auteur débat avec Jean-Christophe Le Duigou, numéro deux de la CGT.
Le rapport parlementaire sur la pénibilité s'est finalement rangé au principe du départ anticipé pour certaines catégories de travailleurs, alors que ce n'était pas l'option retenue dans la version initiale. Pourquoi cette évolution ?
Jean-Frédéric Poisson : Parce qu'il est vrai que certains travailleurs, dont la carrière aura objectivement rendu nécessaire une retraite anticipée, doivent pouvoir bénéficier d'un dispositif de ce genre, même s'ils ne sont ni malades ni déclarés inaptes au travail. On rend possible une chose qui n'existe pas aujourd'hui, rejoignant ainsi une demande formulée par les représentants des salariés. C'est une solution qu'il faut étudier dans le détail. Je suis prêt à en tirer toutes les conséquences sur le plan législatif. Et il est hautement souhaitable que les partenaires sociaux indiquent la manière dont ce dispositif peut être mis en place. Dans l'hypothèse où ils n'y parviendraient pas, je suis prêt à porter une proposition dans ce sens devant le Parlement.
Jean-Christophe Le Duigou : A la lecture du rapport, je ne vois aucune ouverture réelle dans cette proposition. Elle est en tout point identique à celle qui a été formulée par le Medef dans la négociation. Comme cette dernière, elle ouvre la possibilité d'un départ anticipé pour un nombre très réduit de salariés, sur la base de critères médicaux. Elle est même plus dure que celle du Medef sur les critères à retenir. La majorité du Parlement, comme le patronat, veut nous entraîner dans un système d'invalidité bis, ce que les organisations syndicales ont récusé dès le début. Les salariés qui ont dû supporter des dizaines d'années de travaux pénibles ne sont pas des malades mais des personnes qui ont une espérance de vie écourtée du fait des contraintes de travail subies.
En conditionnant la reconnaissance de la pénibilité à l'évaluation de l'état de santé par une commission médicale, ne limite-t-on pas la compensation de la perte d'espérance de vie à l'invalidité ou l'inaptitude ?
J.-C. L. D. : Le rapport a un mérite : il montre bien les deux logiques antagoniques. D'un côté, la logique forte de la démarche syndicale. Nous voulons lier pénibilité, prévention et réparation. Le principe de notre raisonnement est de considérer que ce n'est pas le salarié qui est malade, mais le travail qui est d'abord à "soigner". La réparation part du constat que les conséquences du "mauvais travail" ne sont pas toutes réversibles et qu'il faut donc en compenser les effets sur la durée de vie des salariés. En faire porter une partie de la charge aux entreprises est un moyen de les inciter à faire de la prévention.
De l'autre, la logique du rapport est tout autre. Elle apparaît d'ailleurs dès le diagnostic. Le rapporteur écrit que "la pénibilité dépend autant de l'individu que de la fonction qu'il exerce" et qu'elle "traduit le degré d'adaptation de l'individu au travail". Les salariés de la construction, de l'automobile, de la chimie ou du verre apprécieront sans aucun doute la hauteur de vue, qui fait fi et de l'expérience concrète, et d'un siècle et demi de travaux scientifiques sur la question ! Quant au fond, cela revient à considérer que le salarié fatigué, vieilli prématurément, est un "inadapté", inapte à un travail normal. Il est dès lors naturel qu'il soit classé dans une nouvelle catégorie d'invalidité, à partir du moment où cela serait décidé par une commission médicale ! La prévention est au mieux une exigence morale dans la lignée du courant hygiéniste, visant à faire du salarié un coresponsable de sa situation.
J.-F. P. : Merci pour le "mérite" du rapport, mais il semble avoir été lu partiellement ! En effet, il est évident que le souci de la mission a consisté à unir étroitement les propositions visant à la prévention et la possibilité d'une compensation. Par ailleurs, je ne vois pas comment on peut faire référence à une logique "hygiéniste", courant de pensée éculé qui, je l'espère, n'a plus aucun représentant dans ce pays. Mais cette appréciation provient d'une confusion : la commission que j'ai proposée ne doit pas être exclusivement médicale, ni statuer à partir du seul état de santé du salarié. Son expertise doit être suffisamment large et solide pour estimer l'impact de la carrière professionnelle dans son ensemble, y compris et même en priorité à partir des postes occupés pendant cette carrière. Et puis, il est étonnant de vouloir séparer à ce point l'espérance de vie et la santé : qui peut prétendre que lorsque l'espérance de vie d'une personne est réduite, sa situation n'a aucun lien avec son état de santé ?
Il ne faut pas jouer sur les mots : les logiques qui s'affrontent ne sont pas celles que vous décrivez. La logique du rapport ne prétend pas qu'il faut estimer la responsabilité du salarié : elle vise à faire en sorte que ceux dont l'espérance de vie est réellement atteinte puissent bénéficier des droits attachés à cette atteinte. C'est à partir de cette exigence de justice que se posent les questions liées aux modalités, et non à partir de quoi que ce soit d'autre.
J.-C. L. D. : Alors, enlevez le caractère médical de la commission, pour qu'elle puisse se centrer sur le parcours professionnel de chaque salarié ! On changerait de logique et ce serait plus clair.
Comment améliorer la prévention de la pénibilité au travail et permettre le maintien des seniors dans l'entreprise, alors que la France a l'un des plus faibles taux d'emploi des plus de 50 ans des pays industrialisés ?
J.-F. P. : Le rapport fait plusieurs propositions dans ce sens. Tout d'abord, la prévention de la pénibilité - et, plus généralement, la question de l'amélioration des conditions de travail - réclame une prise de conscience partagée par l'ensemble des acteurs. Cette question doit être traitée, en premier lieu, en amont de l'entreprise, notamment par un plan d'action national et par la formation ; deuxièmement, à l'intérieur de l'entreprise, notamment en s'assurant que tous les interlocuteurs nécessaires sont présents, en particulier les CHSCT ; enfin, autour de l'entreprise, en vérifiant que les partenaires naturels - médecine du travail et réseau des agences d'amélioration des conditions de travail - sont présents et actifs. Ces volets correspondent aux huit propositions du rapport concernant la prévention.
Cela étant, on constate une absence réelle de traitement spontané de ces sujets, hormis dans certaines branches professionnelles. On est encore trop souvent convaincu que la prévention coûte trop cher en regard de ce qu'elle rapporte, ce qui est à l'évidence un mauvais calcul. Et par ailleurs, les salariés sont trop souvent en situation de privilégier des habitudes de travail contraires à leur propre santé, principalement pour des raisons financières, parfois aussi par négligence. De sorte que, au-delà des intentions affichées par tous pour prendre en compte la prévention de la pénibilité, un ensemble d'actions marqué par un volontarisme au-dessus de la moyenne est nécessaire. C'est également ce à quoi invite le rapport.
J.-C. L. D. : La France n'a pas qu'un problème d'emploi des seniors, mais bien un problème d'emploi global, qu'il faut traiter en priorité. Nous avons un taux d'emploi bas chez les salariés âgés, mais aussi chez les jeunes et les travailleurs peu qualifiés.
Les seniors sont victimes d'une recherche effrénée de la productivité du travail. On ne pourra changer les choses qu'en misant sur d'autres sources d'efficacité et de compétitivité : la recherche, la qualité des produits, l'organisation de la production, la mutualisation de certains coûts. Pour la CGT, il s'agit de promouvoir une organisation du travail qui traduise la solidarité intergénérationnelle autour de trois propositions : tout d'abord, éviter un vieillissement prématuré des salariés, ce qui veut dire s'occuper vraiment de la santé de chacun dès les premières années de travail ; ensuite, maintenir, voire développer, l'accès à la formation professionnelle après 40 ans, qui fait tant défaut à cet âge aujourd'hui ; enfin, promouvoir des organisations du travail qui mutualisent les compétences et les qualifications des jeunes et des salariés âgés.
Autant il est "facile" d'interdire l'amiante ou d'établir une norme face à un risque quantifiable, autant on perçoit bien qu'un dispositif national est plus difficile à élaborer face aux formes de pénibilité liées à l'organisation du travail. Comment néanmoins agir dans ces domaines ?
J.-C. L. D. : Ne compliquons pas outre mesure le paysage. On distingue trois formes de pénibilité, justifiant des réponses adaptées. La première correspond au champ des accidents du travail et des maladies professionnelles ; elle requiert un effort de prise en charge de leurs conséquences et l'adaptation des outils de prévention. La deuxième est celle qui est liée aux conditions mentales de travail, notamment tout ce que recouvre le concept de "stress". La France est sur ce point en retard. Cette forme de pénibilité est réversible lorsque les causes disparaissent ; elle appelle de nouveaux modes d'organisation du travail.
Restent, enfin, les conséquences de la pénibilité physique, qui, au-delà d'une certaine intensité et d'un temps d'exposition, sont irréversibles. L'espérance de vie s'en trouve réduite. A partir du moment où chacun doit pouvoir prétendre à une retraite avec une période en bonne santé, la revendication d'égalité est justifiée. Il faut un dispositif national interprofessionnel offrant la possibilité d'un départ anticipé, d'un financement mutualisé et de règles communes, adaptées ensuite à chaque secteur professionnel.
J.-F. P. : Il est possible d'établir des normes en se référant aux travaux incontestables des épidémiologistes : les causes de la pénibilité physique sont repérées - travail de nuit, port de charges lourdes, postures difficiles, etc. - et doivent faire l'objet de déclinaisons dans les différentes branches professionnelles. On peut ainsi aboutir à un inventaire précis des métiers concernés et des modalités d'exercice des carrières ouvrant droit aux dispositifs de compensation.
Je suis en revanche beaucoup plus réservé sur notre capacité à prendre en compte le stress dans le cadre de dispositions de compensation. Nous devons là rendre davantage compatibles la performance individuelle et le respect des personnes qui travaillent, notamment sur le plan psychique. Au-delà des normes, c'est un changement culturel qu'il faut opérer. C'est ce à quoi je vais travailler.
Le rapport d'information sur la pénibilité du travail, adopté le 27 mai 2008 par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, est disponible à l'adresse suivante : www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i0910-tI.asp