Dans les pressings, le perchlo continue à intoxiquer les salariés
Solvant utilisé dans les pressings, le perchloréthylène provoque de graves intoxications et reste suspecté d’être cancérogène. Face au niveau élevé d’exposition des salariés, les solutions de substitution tardent à se mettre en œuvre. Enquête.
Cela a commencé quelques mois après son embauche dans un pressing. Françoise Andissac, alors âgée de 49 ans, a commencé à avoir des vertiges. Elle a consulté un oto-rhino-laryngologiste (ORL), suivi un traitement, et continué à avoir des étourdissements. De plus en plus violents. « Quand je sortais du travail, je me tenais aux murs. J'avais peur de prendre le volant. Je perdais le sommeil. Je pensais devenir folle ! », se souvient-elle. Son calvaire a duré plusieurs années, avec quelques accalmies pendant ses périodes de vacances. Et puis un jour, à force de sollicitations, le médecin du travail lui a prescrit une prise de sang, qui révèlera des taux alarmants de perchloréthylène, ce produit miraculeux qui enlève toutes les tâches et que 90 % des pressings de France utilisent pour le nettoyage à sec. Parfois sans précaution. « On touchait le perchlo comme l'eau du robinet, affirme Françoise Andissac. On ne m'a jamais informée du danger de ce produit. » Son intoxication au perchloréthylène a été finalement reconnue comme malade professionnelle, fait exceptionnel. Mais Françoise Andissac souffre, encore aujourd'hui, de nausées régulières et ne peut plus travailler. Son mari, retraité, a dû retourner au turbin. « C'est pour ça que les gens continuent, souffle-t-elle. Parce qu'il faut bien travailler.»
Risques multiples
« Les gens », ce sont environ 18 000 personnes, des femmes à 80 %, et pour moitié des salariés, répartis dans 4500 pressings. Chargés de tâches multiples, les travailleurs de pressing sont exposés au perchlo à divers moments de leurs journées. Mais c'est quand ils ouvrent le hublot des machines à laver que les pics d'exposition sont les plus élevés : jusqu'à 1000 parties par million (ppm), selon des chiffres publiés en 2008 par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). A ce stade, l'inhalation peut avoir une « une action narcotique, avec ébriété et somnolence » précise l'INRS. L'intoxication chronique peut quant à elle provoquer des troubles de l'équilibre, des céphalées, de la somnolence. Ces diverses affections sont rarement reconnues par les médecins. Sylviane, salariée de pressing pendant trente-trois ans, a ainsi subi, suite à des évanouissements multiples, une impressionnante batterie d'examens : IRM, scanner, tests ORL, etc. « Pour finir, on m'a dit que c'était psychosomatique... », glisse-t-elle.
Surtout, le perchlo est classé « cancérigène probable pour l'homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1995, et considéré par l’Union européenne comme « cancérogène possible » depuis 1996, ce qui signifie que la substance est suspecte, mais que l'on manque de preuves pour définir sa dangerosité exacte. En conséquence, le tableau de maladies professionnelles numéro 12, qui indemnise les affections provoquées par le perchloréthylène, ne mentionne pas le cancer. Plusieurs études épidémiologiques pointent pourtant une augmentation des cancers du système urinaire, du pancréas, et de l'œsophage dans la profession des travailleurs de pressing. Le perchlo est également toxique pour la reproduction. Mais pour le moment, le Code du travail français ne prévoit pas de soustraire les femmes enceintes à ce produit.
Prévention limitée
Les pressings étant des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), c'est un arrêté du 2 mai 20021 élaboré par le ministère de l'Ecologie qui encadre les usages du perchlo. « La pression a d'abord été environnementale, décrit Pierre Letourneur, président de la Fédération française des pressings et blanchisseries. L'aspect santé est arrivé assez récemment. » Appelé dans la profession par son numéro de rubrique, « 2345 », cet arrêté « protecteur » impose notamment : un système de ventilation avec filtre à charbon actif, des machines faisant un appoint automatique du produit et le port d'un masque pour certaines opérations de maintenance des machines. Le « 2345 » a été modifié en 2009, après qu'une inspection des installations réalisée en 2008 par le ministère auprès de 275 pressings a constaté que 70 % n'étaient pas aux normes ! Le plan d'action qui a suivi, assorti d'arrêtés préfectoraux de mise en demeure et de procès-verbaux a eu quelques effets. En trois ans, on est passé de deux tiers des installations non conformes à un tiers. « En général, ce sont les systèmes de ventilation qui posent encore problème », dit le ministère.
C'est d'autant plus problématique que la plupart des pressings sont situés dans des espaces exigus, sans portes ni fenêtres vers l'extérieur. Dans le restaurant de Thierry Drouin et Pascal Denot, fondateurs en 2006 de l'Association de défense des victimes d'émanations de perchloroéthylène des pressings (Advepp) et voisins immédiats d'un pressing, leur capteur de perchlo indique que la concentration du toxique dans l'air est dix fois supérieure à celle qu'impose la réglementation pour les lieux publics, c'est à dire hors des pressings. « Vous imaginez à proximité des machines, ce que ce doit être.... Ils ont une ventilation, mais le filtre à charbon n'est pas changé assez souvent », soupirent-ils.
La fréquence de renouvellement de ces filtres devrait être rendue obligatoire dans une nouvelle version du « 2345 », actuellement en préparation au ministère de l'Ecologie, et dont on espère la sortie pour le 1er juillet prochain. Les seuils d'exposition devraient aussi être modifiés. Actuellement, la valeur moyenne d’exposition professionnelle au perchlo est de 50 ppm (335 mg/m3). Elle passera à 20 ppm (136 mg/m3). Une valeur limite d'exposition à court terme, située à 40 ppm (268 mg/m3) sera aussi introduite. Il est par ailleurs prévu que le perchlo intègre la base Scola, qui centralise l'exposition des salariés à environ 80 agents chimiques dangereux. Cela permettra de « cibler au mieux les actions de prévention », affirme la direction générale du Travail, au ministère du même nom. « Les contrôles vont se multiplier, cela va accélérer la mutation de la profession », assure pour sa part Pierre Letourneur. Il se dit cependant inquiet pour « toutes ces installations sans salariés, qui ne vont faire l'objet d'aucune surveillance. » Thierry Drouin confirme qu'« il y a des gens malades qui se taisent, parce qu'ils sont gérants et qu'il faut bien continuer le boulot ».
L'urgence de la substitution
« On ne peut pas se contenter de croire que les limitations d'exposition sont protectrices, tempête de son côté André Cicolella, chercheur en santé environnementale et membre du Réseau environnement santé (RES). D'autant que l'on sait que même en cas de faible exposition, il y a des risques. Qu'est-ce que l'on attend pour appliquer le Code du travail, qui défend le principe de substitution dès que c'est possible ? Ce n'est pas si compliqué me semble-t-il. » Parmi les divers procédés de substitution au perchlo, l'aquanettoyage semble être le moins risqué pour la santé des personnes qui travaillent en pressing, et tout aussi efficace, si l'on en croit une récente enquête de 60 millions de consommateurs. Les aides au changement d'équipement, financées par certaines agences de l'eau et quelques caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), « gagneraient à être harmonisées », dit Pierre Letourneur, qui rappelle que « la plupart des entreprises de pressing ont des chiffres d'affaire annuels d'environ 100 000 euros, soit deux fois le coût d'un changement de matériel avec mise aux normes ». La nouvelle version du « 2345 » prévoit l'interdiction immédiate de nouvelles installations au perchlo. Pour les pressings déjà installés, les fédérations de professionnels ont obtenu une élimination progressive des machines en fonction de leur âge, à partir de 2018. Les travailleurs pourraient donc avoir affaire au perchlo jusqu'en 2027.
1. Arrêté du 2 mai 2002 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement soumises à déclaration sous la rubrique n° 2345 relative à l’utilisation de solvants pour le nettoyage à sec et le traitement des textiles ou des vêtements.