Pressions sur les médecins du travail: la ministre de la Santé interpellée

par Rozenn Le Saint / 30 mars 2015

Une lettre à la ministre de la Santé lui demande de mettre fin à la possibilité qu’ont les employeurs de poursuivre les médecins du travail devant le Conseil de l’ordre, pour leurs écrits médicaux.

L’indépendance des médecins du travail est de nouveau sur la sellette. Depuis plusieurs mois, des praticiens sont attaqués par des employeurs devant le Conseil de l’ordre, mettant en cause leurs attestations en faveur de salariés.

Alors, le 19 mars, une trentaine de parlementaires, de responsables politiques, syndicaux, associatifs, de médecins et de chercheurs ont interpellé la ministre de la Santé dans une lettre ouverte, afin qu’il soit mis fin à la possibilité, pour les employeurs, d’« entamer une procédure disciplinaire contre un médecin dans le seul but de protéger leurs intérêts contre l’un de leurs salariés ».

En effet, au cours d’une procédure prud’homale, les employeurs sont en mesure de mettre en cause les certificats des médecins du travail – ou d’autres spécialités ayant à voir avec la santé au travail – quand ils estiment que ce document risque de fragiliser leur défense. Les professionnels de santé risquent alors une sanction de la part de l’Ordre des médecins.

Un blâme pour un lien entre stress et harcèlement au travail

C’est ce qui est arrivé au psychiatre Jean Rodriguez. Il a écopé d’un blâme après avoir diagnostiqué un lien entre un état de stress post-traumatique et le harcèlement moral subi au travail par un salarié de Zôdio (groupe Mulliez). Ce dernier avait engagé une procédure devant les prud’hommes, contre son patron, en s’appuyant sur des écrits du médecin.

L’employeur a saisi l’Ordre des médecins, en utilisant ce que l’Ordre considère comme une possibilité juridique ouverte par la modification d’un décret du Code de la santé publique en 2007 (article R4126-1 du code de la santé publique). Il a l’accusé d’avoir manqué « au code de déontologie de la profession ».

Le Dr Dominique Huez a lui aussi été inquiété. Sous pression, des médecins en viennent à renier leurs certificats, par crainte d’être sanctionnés ou d’être stigmatisés comme des praticiens non respectueux de l’éthique.

Le secret médical mis à mal

Ce que reprochent Aline Archimbaud, sénatrice, Fanélie Carrey-Conte, députée, Eric Beynel, de Solidaires, Arnaud de Broca, de la Fnath (Association des accidentés de la vie), Christophe Dejours, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, Michel Ledoux et Jean-Paul Teissonnière, avocats spécialisés en droit social, ou encore Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm, c’est l’instrumentalisation des instances disciplinaires médicales pour la défense des employeurs, alors que ces instances sont censées protéger la relation d’un patient avec son médecin.

« C’est pourquoi, traditionnellement, seuls les patients ou des organismes représentant leurs intérêts pouvaient intenter une procédure disciplinaire contre un praticien, en dehors des autorités publiques », rappelle le collectif. Le secret médical est mis à mal, « l’instruction se faisant en général sur la base de documents dont le patient n’a ni demandé ni autorisé l’utilisation dans ce but, tout cela sans même le contrôle d’un juge », indique le courrier.

VINCI ÉPINGLÉ POUR TRAVAIL FORCÉ POUR LE MONDIAL

L’association altermondialiste Sherpa et la Fédération nationale de la construction CGT ont déposé plainte contre le groupe français de construction pour « travail forcé », « réduction en servitude » et « recel », le mardi 24 mars, auprès du parquet de Nanterre. Cette action vise les conditions de travail sur les chantiers de construction des installations du Mondial de football de 2022, au Qatar. Vinci emploie en direct 3 500 salariés de 65 nationalités, dont 2 000 ouvriers, principalement indiens, népalais ou sri-lankais.

L’association Sherpa dénonce des semaines de 66 heures pour ces employés, à l’œuvre six jours sur sept, sous des températures accablantes, et qui seraient logés dans « des conditions indignes, à huit par chambre, sur des lits superposés ».

Passeports confisqués et décès sur les chantiers

Autre reproche, « leurs passeports sont confisqués par l’entreprise ». Par ailleurs, de nombreux décès ont été constatés sur ces chantiers, notamment des morts par asphyxie touchant les travailleurs en sous-sol, sur le chantier du métro.

« Ce nouveau drame social révèle, comme le Rana Plaza l’avait fait, l’urgence d’adopter une loi sur le devoir de vigilance des multinationales sur les atteintes aux droits humains causées par leurs filiales ou sous-traitants dans le cadre de leurs activités à l’étranger », déclare Sherpa dans un communiqué. Le groupe Vinci réfute ces allégations et a contre-attaqué en portant plainte contre l’association pour diffamation.

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