" Les psychiatres sont rattrapés par la question du travail "
En janvier, psychodynamiciens du travail et psychiatres ont tenu colloque ensemble. Une première. Christophe Dejours, coorganisateur de cette initiative et directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l'action au Conservatoire national des arts et métiers, répond à nos questions.
Pour la première fois, le colloque international de psychodynamique et psychopathologie du travail et les journées nationales de l'Association française de psychiatrie se sont tenus conjointement, le 25 janvier, sur le thème " Clinique du travail et psychiatrie ". Qu'est-ce qui a motivé cette démarche ?
Christophe Dejours : La psychiatrie a longtemps affiché son désintérêt pour le travail, dans un paysage marqué par la montée en puissance de la psychanalyse, qui implique d'écarter la réalité objective des contraintes extérieures pour mettre l'accent sur la subjectivité comme quelque chose de totalement singulier. La donne a changé récemment. Les psychiatres ne peuvent plus faire l'impasse sur l'apparition, dans leurs cabinets, d'une psychopathologie du travail. Ils sont rattrapés par la question du travail, dans leur entourage, mais aussi dans les institutions de soins. Ils ne sont plus à l'abri de la souffrance occasionnée par la dégradation du travail. Les débats d'idées sur chaque cas sont ratatinés au profit de choses très opérationnelles, dont l'efficacité n'est pas prouvée : la pharmacologie et le comportementalisme.
Une demande, une curiosité de ce corps pour la clinique du travail s'exprime depuis deux ou trois ans. Pourtant, au départ, la psychopathologie du travail, devenue la psychodynamique, est née d'un courant de recherche alimenté par des psychiatres. Elle éclôt après-guerre, mais connaît une phase de déclin à la fin des années 1960, au profit d'une approche en termes de fatigue au travail liée au développement du taylorisme et relayée par des psychologues autour de l'ergonomie. Puis elle reprend pied avec des psychiatres dans le laboratoire d'ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et au sein de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Et se développe à travers un séminaire interdisciplinaire où elle se confronte à d'autres branches des sciences sociales. En 1990, enfin, est créé au Cnam le laboratoire de psychodynamique que je dirige.
Quelles sont les principales questions en débat en psychiatrie et psychodynamique ?
C. D. : Si l'on admet la place centrale du travail et ses incidences sur la vie privée, tout en psychiatrie peut être remis en discussion. Pour cette rencontre, nous avons fait le choix de partir de questions pratiques. La première concerne l'influence de la référence au travail sur la pratique ordinaire du psychanalyste confronté à un patient présentant une pathologie du harcèlement. La deuxième aborde la violence des soignants à l'égard de personnes âgées en institution, et le rôle qu'y jouent les contraintes organisationnelles. La troisième, à visée plus intellectuelle, cherche à cerner ce que la clinique du travail livre comme éléments de réflexion sur la condition humaine et la société et, inversement, ce que la philosophie peut dire sur les pratiques cliniques et leurs dimensions éthique et morale. La quatrième s'intéresse aux apports de la psychiatrie à travers sa pratique de la réinsertion des malades mentaux.
Comment envisagez-vous la suite ?
C. D. : Il y a eu beaucoup de monde, 800 participants, et une écoute très intense. Mais il est difficile de prévoir les retombées. La zone de discussion possible est très importante, mais cela demande un effort de part et d'autre. Il y a des voix discordantes, notamment chez les médecins du travail et les psychiatres. Il faut voir cette rencontre comme un rendez-vous programmatique ouvrant sur l'avenir.