Quand l'idéal devient la norme
Dans les entreprises, les indicateurs de qualité sont fabriqués par des directions dites "fonctionnelles". Héritières des bureaux d'études tayloriens, elles se sont multipliées en un siècle. Les experts sont maintenant pléthore et organisés en secteurs : marketing, communication, ressources humaines, informatique, contrôle de gestion, qualité, sécurité... Ils ne produisent pas directement les biens ou services mais ont pour mission de mettre en place des normes, procédures, systèmes de mesure et dispositifs de contrôle sur le travail productif réalisé par ce que l'on appelle les "opérationnels".
Ces indicateurs de qualité ont trois caractéristiques principales. Ils portent sur la partie visible et mesurable de l'activité : le travail réalisé. Ce qu'il faut faire "vraiment" pour arriver à produire, ce travail invisible qu'on appelle le "travail réel", est à la fois méconnu et non reconnu. Ensuite, ces indicateurs sont organisés par domaines de spécialité, au risque que leur addition ne produise pas une prescription cohérente. Les indicateurs de ressources humaines peuvent être contradictoires avec ceux de la qualité, ou l'informatique imposer des normes inconciliables avec celles du marketing. Enfin, chaque indicateur dans son domaine prescrit au mieux et sans limite. Les prescriptions tendent à être sophistiquées et infiniment exigeantes : zéro défaut, qualité totale, rentabilité croissante... Elles font de l'idéal une norme. Elles peuvent alors être perçues par les opérationnels comme injustes, incohérentes et impossibles à atteindre.