Quand le travail entre en crise
Les soignants vont mal. Outre le manque de moyens, la fatigue et l’usure consécutives à l’épidémie de Covid-19, ou la trop faible reconnaissance de leurs efforts, ils souffrent surtout de ne pas pouvoir mener leur activité dans des conditions respectueuses des patients, en conformité avec leur mission première : prendre soin des autres. Au point de fuir l’hôpital, voire leur métier. Mais ils ne sont pas seuls. D’autres pans de la fonction publique sont confrontés au même malaise : enseignement, justice, police… Chacun avec ses propres dilemmes éthiques, le sentiment de ne pas être là où il le faudrait, comme il le faudrait.
Cette crise du travail n’épargne pas non plus le privé : BTP, hôtellerie-restauration, services à la personne, etc. Les employeurs et les pouvoirs publics s’inquiètent d’une désaffection de la main-d’œuvre touchant certains secteurs. Or c’est bien, là encore, le travail qui fait défaut, non en quantité mais en qualité. Le temps d’un confinement, la crise sanitaire a permis à de nombreux travailleurs de réaliser que les moments consacrés à la famille et à soi-même sont essentiels, que l’utilité sociale de leur activité, bien que réelle, n’est pas reconnue comme telle ou que, au contraire, ce qu’ils font n’a pas beaucoup d’intérêt pour eux comme pour la collectivité.
Face à cette prise de conscience, le gouvernement a mandaté des experts, afin d’améliorer le sort des 4,6 millions de travailleurs de la deuxième ligne. Mais quelle est sa réponse dans l’immédiat ? Réduire les allocations chômage, par le biais d’une réforme contestée, pour forcer les personnes sans emploi à accepter n’importe quel travail ? Promettre un allongement de la durée de vie active, peu importe la qualité et la soutenabilité des emplois disponibles ? On voit bien que la cible n’est pas la bonne et que les solutions proposées ne vont qu’aggraver la crise du travail.
En outre, elles ne sont pas opératoires. Nombre de chômeurs se retrouvent sans activité pour des raisons de santé ; ils sont donc inaptes à occuper les postes vacants des secteurs en tension, caractérisés par des conditions de travail difficiles. Il en est de même du côté des salariés en fin de carrière, pour lesquels un prolongement de la vie professionnelle risque de se traduire par un allongement de leur période de chômage, de RSA ou d’invalidité.
Des candidats à la future élection présidentielle invoquent bien la valeur travail, pensant conjurer de la sorte la crise qu’il traverse. Mais cette incantation ne répond pas davantage au problème. Il ne s’agit pas tant de redonner de la valeur au travail que de faire en sorte qu’il retrouve du sens. C’est-à-dire intégrer sa dimension éthique, que les nouvelles organisations tendent à nier et malmener, et permettre à tout un chacun de se reconnaître dans ce qu’il fait. Alors, il sera peut-être possible de goûter à nouveau la saveur du travail bien fait, utile, partageable et partagé. Tout un programme, peu abordé par le personnel politique.