Pierre Pézerat : quand les victimes du travail relèvent la tête
Dans son documentaire Les sentinelles, des victimes de l'amiante ou de pesticides relatent leur combat pour la dignité. Un film "engagé mais grand public" et traversé par la figure pionnière de son père, le toxicologue Henri Pézerat.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l'aventure du documentaire Les sentinelles, qui retrace les combats de victimes de l'amiante ou de pesticides ?
Pierre Pézerat : Depuis longtemps, j'avais envie de faire un film sur ce thème. En 2009, à la mort de mon père, le toxicologue Henri Pézerat, une association a été créée par ceux qu'il avait accompagnés dans leur lutte et qui n'ont pu envisager autre chose que de continuer à se battre ensemble contre toutes les atteintes à la santé au travail1 . C'est à cette occasion que j'ai rencontré Josette Roudaire, ancienne ouvrière à l'usine de tissage d'amiante Amisol, et Jean-Marie Birbes, ouvrier chez Eternit, puis Paul François, l'agriculteur intoxiqué par un pesticide qui a attaqué en justice le fabricant Monsanto. J'ai tout de suite été frappé par leur charisme et leur verbe fort. Ce sont des gens admirables, qui se sont faits eux-mêmes et qui n'ont pas eu peur de se mobiliser. Pour moi, des héros. Je voulais mettre en valeur leur parole, je n'avais pas l'intention de réaliser un hommage à Henri Pézerat. Mais quand je leur ai parlé du projet, ils ne cessaient de me ramener à lui, parce qu'il avait beaucoup compté pour eux. Finalement, le film raconte leur histoire, des années 1970 à nos jours, et le rôle joué pour chacun par mon père. J'ai joint à leurs voix d'autres témoignages, comme ceux des salariés de l'entreprise agroalimentaire Nutréa-Triskalia, empoisonnés par des pesticides, qui ne l'ont pas connu mais dont le combat est emblématique de ceux qu'il a menés.
Comment ces ouvriers et votre père, chercheur du CNRS, ont-ils trouvé un langage commun ?
P. P. : La science revêt souvent aux yeux des non-spécialistes une aura mystérieuse, dont se servent d'ailleurs certaines personnes pour organiser la désinformation et instiller le doute quant aux résultats de telle ou telle étude. Mon père avait une vision engagée et pratique de la science. Il faisait de la pédagogie, prenait du temps pour expliquer les choses avec des mots simples afin que tout le monde puisse comprendre et s'approprier le savoir. C'est aussi ce dont témoignent Josette et les autres. A ma modeste mesure, j'essaie de faire de même dans Les sentinelles, en présentant des informations étayées sur la toxicité de l'amiante ou celle des pesticides : il ne s'agit pas seulement de raconter une histoire vraie aux spectateurs, mais aussi de leur donner des clés de compréhension.
Lorsque vous avez lancé la campagne de financement participatif en 2014, le film s'appelait Parcours de combattants. Pourquoi en avoir changé le titre ?
P. P. : Le titre initial pouvait paraître connoté très militant. "Les ouvriers sont, au niveau des risques, des sentinelles du milieu environnemental", disait mon père. J'ai préféré ce titre, plus symbolique et poétique. C'est un documentaire résolument engagé, mais j'ai souhaité faire un film grand public, qui n'intéresse pas seulement le cercle restreint des syndicalistes, des associations ou des professionnels de la santé au travail. Tous les témoins sont des gens du peuple à qui les employeurs ont menti, mettant ainsi leur santé en danger. Ils se sont révoltés et ont retrouvé leur dignité en se bagarrant contre ceux qui les avaient empoisonnés. Ils ont relevé la tête, et ce sont des exemples à suivre. Pour que chacun d'entre nous ne soit pas victime aujourd'hui et qu'une prise de conscience s'opère dans les gestes de la vie quotidienne, entre autres en tant que consommateur. Le combat contre les grands industriels qui bousillent la vie de travailleurs est d'une difficulté inouïe, et j'aimerais que mon film contribue à lever la chape de silence qui leur profite.
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L'Association Henri Pézerat a pour vocation d'apporter un "soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l'environnement". Pour en savoir plus, consulter le site www.asso-henri-pezerat.org.