Quel dialogue social sur la santé au travail ?
Lors de deux tables rondes, organisées par Santé & Travail à l’occasion de ses trente ans, les partenaires sociaux ont pu confronter leurs points de vue, parfois divergents, sur la pénibilité, la prévention des risques et la nécessité d’appréhender ces sujets en entreprise.
Il devient urgent de mieux prendre en charge la pénibilité du travail et les enjeux qu’elle pose en matière de maintien en emploi des salariés usés. Et il est d’autant plus nécessaire d’avoir un débat sur ces questions dans les entreprises. C’est sur la base de ces constats que Santé & Travail a souhaité réunir le 19 mai dernier deux tables rondes, la première sur le travail soutenable, la seconde sur le dialogue social en matière de risques professionnels, avec la participation de dirigeants syndicaux et patronaux. Un événement organisé dans l’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental (Cese), à l’occasion des trente ans du magazine créé par la Mutualité française (lire l’encadré).
« Ce qui n’est déjà pas tenable et crée des inégalités le sera encore moins », a résumé Catherine Delgoulet, professeur d’ergonomie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), en ouverture de la première table ronde. Alors que se profile une réforme visant à repousser l’âge du départ à la retraite, la question de la soutenabilité des conditions d’un travail devient cruciale. Comment permettre à chacun de construire sa santé au travail tout au long de sa vie professionnelle ? Les échanges entre partenaires sociaux ont beaucoup porté sur la reconnaissance de la pénibilité du travail.
Débat sur le compte pénibilité
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a ainsi rappelé que son organisation souhaite le rétablissement du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), avec la réintégration des quatre facteurs de risque retirés en 2017 lors de sa transformation en compte personnel de prévention (C2P) : produits toxiques, vibrations, postures pénibles et port de charges. Une mesure de justice sociale et de protection de la santé des travailleurs les plus exposés. Du côté patronal, Jean-François Pilliard, ex-vice-président du Medef et coprésident du comité d’évaluation des ordonnances travail, et Michel Chassang, vice-président du Cese au titre de l’Union des entreprises de proximité (U2P), ont rappelé les difficultés pratiques de mise en œuvre du compte pénibilité. Mais ils n’ont pas opposé de véto à l’ouverture de nouvelles négociations, notamment en matière de possibilités de reconversion professionnelle, pour des secteurs d’activité dans lesquels l’usure physique est manifeste.
« Force est de constater que l’accent est mis sur la réparation plutôt que sur la prévention », a pointé pour sa part Yves Veyrier, secrétaire général de FO. Rappelant que le compte pénibilité a été introduit lors de la dernière réforme sur les retraites, le responsable syndical a estimé qu’il était nécessaire de « déconnecter » les négociations à venir de celle de l’âge du départ à la retraite. Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa, a de son côté pointé « le manque de coordination » des acteurs en matière de prévention de la désinsertion professionnelle. « La prévention passe par le dialogue social en santé au travail. Un travail soutenable, c’est un travail sur lequel les travailleurs ont la main », a ajouté Laurent Berger.
La fin des CHSCT dénoncée
En introduction de la seconde table ronde, sur le dialogue social, Bernard Dugué, enseignant-chercheur en ergonomie à l’Université de Bordeaux, a pointé la rareté des accords d’entreprise portant sur les questions de charge, de contenu ou d’organisation du travail : « Ils représentent moins de 5 % des accords signés. » Pour les syndicalistes, la suppression des CHSCT (comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), mise en œuvre dans le privé et en cours dans la fonction publique, a dégradé le dialogue social sur les questions de santé au travail. « Il n’y a plus personne aujourd’hui pour sauver le CSE et lui trouver la moindre vertu », a notamment déclaré François Hommeril, président de la CFE-CGC.
Le retour des CHSCT n’est pas envisageable pour autant selon Éric Chevée, vice-président de la CPME. Celui-ci a rappelé que le dernier accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail, transposé dans la loi du 2 août 2021, prévoit l’ouverture de négociations sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de l’assurance maladie. Ce représentant patronal y voit l’occasion de mobiliser davantage de ressources en faveur de la prévention des risques professionnels, alors que les sommes qui lui sont consacrées sont largement insuffisantes au regard des coûts liés à la réparation. « Si le nouveau gouvernement laisse aux partenaires sociaux la possibilité de récupérer en gestion l’excédent de 1 milliard d’euros par an de la branche AT-MP, nous aurons la possibilité d’investir en prévention », a-t-il précisé.
Discuter au plus près du travail
Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres et membre de la direction de l’Ugict-CGT, a souligné pour sa part combien il est difficile pour les salariés et leurs représentants d’être entendus sur l’organisation du travail. En regard, Mathilde Icard, présidente de l’association des DRH des grandes collectivités territoriales, et Hugues Vidor, président de l’union des employeurs de l’économie sociale et solidaires (UDES), ont défendu l’idée d’un dialogue social au plus près des réalités du travail. « Les questions de santé au travail doivent s’appuyer sur l’expertise des agents et des salariés », a défendu Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. En vue de leur redonner du pouvoir d’agir, afin qu’ils puissent mieux prévenir les atteintes à leur santé.