Quel suivi des intérimaires après la réforme de la médecine du travail ?

par François Desriaux / juillet 2012

La réforme de la médecine du travail améliore-t-elle le suivi médical des intérimaires, plus exposés aux risques professionnels ? Dominique Delcourt, du Prisme, syndicat patronal de l'intérim, en est convaincue. Pas Marie Pascual, médecin du travail1

  • 1NDLR :

    Nous souhaitons préciser que le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (Cisme), organisation patronale des services de santé au travail, a décliné notre invitation à participer à ce débat.

La réforme de la médecine du travail permet désormais que le suivi médical des intérimaires soit réalisé par un autre service de santé au travail que celui auquel adhère l'entreprise d'intérim (voir " Repères "). C'était une demande du Prisme. Cela constitue-t-il un progrès pour l'efficacité de ce suivi ?

Dominique Delcourt : Toute mesure qui facilite l'organisation du suivi médical des intérimaires est un progrès. En réalité, le décret du 30 janvier a repris une mesure négociée par les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire dans un accord du 20 septembre 2002, mais que nous avions des difficultés à mettre en oeuvre. Une agence d'emploi [agence d'intérim, NDLR] peut ainsi faire réaliser l'examen d'embauche d'un intérimaire soit par son médecin du travail soit, et c'est la nouveauté, par le service interentreprises de santé au travail proche du lieu de travail de l'intérimaire, ou par un service professionnel - par exemple du bâtiment -, ou par le service autonome de l'entreprise utilisatrice auprès de laquelle est détaché l'intérimaire. Nous avons conscience que cela modifie l'organisation du suivi des intérimaires par les services de santé au travail, mais si les services se communiquent les informations relatives à ce suivi, tout le monde sera gagnant. Les agences auront une offre de services élargie, les intérimaires auront moins de déplacements et leur suivi sera mieux réparti entre les services.

J'ajoute que, depuis plusieurs années, sur certains bassins d'emploi, les agences sont confrontées à des refus de visites médicales pour leurs intérimaires, y compris pour des emplois à risque, car les services leur opposent la pénurie de médecins du travail. Dans ces conditions, l'absence d'aptitude médicale devient un frein à l'emploi, ce qui n'est pas acceptable. Nous sommes d'accord pour admettre que la surveillance médicale des intérimaires ne doit pas se limiter à la délivrance de la fiche d'aptitude, mais c'est un préalable nécessaire à toute autre considération.

Marie Pascual : La demande des employeurs du travail temporaire correspond à leur souci principal : avoir des visites médicales pour être " couverts " juridiquement. Que les intérimaires les passent dans les entreprises utilisatrices peut être pertinent en cas de mission longue, pour faire le lien avec la prévention. Mais comme les missions d'intérim sont majoritairement très courtes, une telle mesure va accentuer la dispersion du suivi médical. Sans autre modification de l'organisation de ce suivi, cela ne fera qu'aggraver la carence massive de la médecine du travail pour cette population particulière.

Il est navrant de constater que les décrets du 30 janvier n'ont eu pour seul objectif que de satisfaire la revendication des employeurs.

Quand on observe les chiffres, les intérimaires sont souvent les salariés les plus exposés aux mauvaises conditions de travail et donc ceux qui auraient besoin d'un suivi médical renforcé. Pourquoi, au contraire, ont-ils un suivi plutôt " bâclé " et pourquoi est-ce si difficile de remédier à cette incurie ?

M. P. : Le suivi médical des intérimaires est éclaté entre les services interentreprises, émietté, désorganisé, incohérent, au hasard des missions. Personne ne se soucie d'assurer un suivi efficace de cette population pourtant reconnue vulnérable. Le seul objectif des agences est d'obtenir une visite médicale, peu importe où. Les intérimaires, du BTP par exemple, font parfois deux heures de transport pour passer leur visite... Très généralement, dans les services, les visites d'intérimaires sont " saupoudrées " sur les médecins qui en veulent bien. Les médecins du travail, dans leur grande majorité, se désintéressent de la question. Dans ces conditions, l'intérimaire ne peut que se méfier de la visite médicale. Au mieux, il ne peut rien en attendre ; au pire, s'il a un souci de santé, il peut craindre un obstacle pour son emploi, via des restrictions d'aptitude. Quant à la surveillance médicale des risques particuliers, qui relève de l'entreprise utilisatrice, elle n'est pas faite.

En fait, la mauvaise qualité du suivi médical des intérimaires est révélatrice de la médiocrité de la veille sanitaire en médecine du travail : les services ne sont ni organisés ni mobilisés pour assurer un vrai suivi des expositions des salariés, ni même pour conduire des actions visant à préserver la santé des travailleurs " tout au long de leur parcours professionnel ", comme c'est pourtant écrit dans l'article 1 de la loi du 20 juillet 2011. La façon dont sont traités les intérimaires n'est pas une exception, mais juste une caricature du système. Pour eux, la visite médicale est réduite à sa plus simple expression : l'aptitude-sélection. La moindre restriction d'aptitude équivaut à la sortie des fichiers de l'agence. Quant à la connaissance des postes et à l'action en milieu de travail, cela n'existe pas pour les intérimaires. La réalité du suivi médical des intérimaires est en contradiction totale avec les missions désormais définies par la loi et conformes à la déontologie médicale. Il est impossible d'assumer la mission de protection de la santé des travailleurs intérimaires puisque l'intervention en prévention est impossible. Et il est indigne d'accepter une pratique aussi dégradée du suivi médical. Face à la sévérité de ce constat, l'anomalie majeure est l'absence de réaction des médecins du travail et des services interentreprises. Dans notre groupe de travail de Seine-et-Marne, les responsables d'agence ont été beaucoup plus faciles à convaincre que les services de santé au travail de la nécessité de s'organiser autrement1

Dans le contexte actuel de réforme, la responsabilité sera clairement celle des services de santé au travail et des comités régionaux de prévention des risques professionnels, lesquels fixeront des objectifs aux services interentreprises, à travers les contrats d'objectifs et de moyens. Il faudrait que les services travaillent autrement, ensemble, et dans un objectif de santé publique. On en est très loin.

D. D. : Le constat du Dr Pascual est sévère, mais je la rejoins au moins sur un point. Il est exact que le souci des agences est d'obtenir une visite médicale, car c'est un préalable à l'emploi, tout simplement. Les entreprises veulent respecter leur obligation légale, une préoccupation bien compréhensible.

Le suivi médical, tel qu'il est organisé dans les services de santé au travail, est souvent inadapté à la réalité du travail temporaire. Il est en effet difficile pour les agences d'emploi d'anticiper une embauche et donc de planifier un rendez-vous avec le service. L'embauche est totalement dépendante de la demande d'une entreprise utilisatrice, laquelle n'anticipe pas souvent son besoin de personnel.

Quant aux intérimaires, leur préoccupation est d'avoir une mission, pas de passer une visite médicale. Par ailleurs, ce n'est pas cette visite médicale qui aura une influence sur leurs conditions de travail.

Au-delà de la visite médicale d'aptitude et des aspects médico-réglementaires, quelles actions faudrait-il développer pour améliorer la prévention des risques chez les salariés intérimaires ?

D. D. : Nous sommes engagés depuis longtemps aux côtés des agences d'emploi pour développer des actions de prévention en partenariat avec les acteurs institutionnels au niveau national et au niveau régional et avec quelques secteurs professionnels comme le BTP. Nous avons créé en 2002, au sein de la branche du travail temporaire, une commission paritaire de sécurité, qui est un lieu d'échanges et de propositions pour faire avancer la culture sécurité dans les agences d'emploi. Des livrets sécurité sont mis à la disposition des agences d'emploi, pour leurs intérimaires, afin de présenter les principaux risques auxquels ces derniers peuvent être exposés pendant leur mission et les moyens de les prévenir. Nous sommes convaincus de la nécessité de sensibiliser les salariés à la sécurité, mais la difficulté réside le plus souvent dans la connaissance des risques par l'agence d'emploi, et le rôle de l'entreprise utilisatrice est de ce point de vue primordial.

Le médecin du travail a également un rôle à jouer. L'initiative des services de santé de Seine-et-Marne est pertinente, car le médecin devient un acteur important de cette prévention des risques.

M. P. : Ces outils de sensibilisation aux risques et à la sécurité sont nécessaires et les intérimaires y sont sensibles. Mais la réalité des conditions de travail qu'ils rencontrent est souvent bien différente des messages délivrés. C'est pourquoi l'intervention en milieu de travail est indispensable pour obliger les entreprises utilisatrices à améliorer les conditions de travail aussi pour les intérimaires, qui, de fait, assurent régulièrement les tâches difficiles.

Comment améliorer la traçabilité des expositions chez les intérimaires pour qu'ils puissent éventuellement faire valoir leurs droits à un départ anticipé à la retraite ou à une réparation des maladies professionnelles, sachant qu'un avis d'inaptitude se traduira dans la quasi-totalité des cas par l'éjection du marché du travail ?

M. P. : Tout intérimaire inapte à son métier ou ayant des restrictions d'aptitude importantes est exclu de l'emploi. La question n'est pas de savoir comment il pourrait compenser cette adversité par un départ anticipé à la retraite ou par la réparation d'une maladie professionnelle, car c'est très improbable qu'il puisse relever de ces mesures. La vérité est que l'intérimaire ne bénéficie pas d'une protection égale à celle des autres travailleurs, contrairement à ce qu'affirme la loi du 20 juillet 2011. Il échappe aussi aux procédures de maintien dans l'emploi. La simple visite de préreprise lui est le plus souvent inaccessible. C'est l'organisation des services de santé au travail qu'il faut changer, en profondeur. Le décalage entre l'esprit affiché de la réforme et le contenu du décret, qui reprend mot pour mot celui de 1991, jamais appliqué et cruellement insuffisant, n'incite pas à l'optimisme.

D. D. : Nous savons que la traçabilité des expositions professionnelles des intérimaires suppose mutualisation et informatisation. La difficulté est plutôt de tracer une ligne de partage entre ce qui relève d'une exposition professionnelle à un risque identifié et mesurable et ce qui relève d'un facteur de pénibilité difficilement mesurable et très différent d'une entreprise utilisatrice à une autre. Mais les intérimaires ont bien les mêmes droits retraite que les autres salariés. Ils bénéficieront de la retraite anticipée comme tout salarié ayant une incapacité permanente de 20 % ; en cas d'incapacité de 10 à 20 %, il leur faudra démontrer qu'ils ont été durablement exposés à des facteurs de pénibilité, avec toutes les difficultés d'identification de ces facteurs.

Repères

Deux décrets en application de la loi du 20 juillet 2011 réformant l'organisation et le fonctionnement des services de santé au travail sont parus le 30 janvier dernier. Entrés en vigueur le 1er juillet, ils contiennent de nouvelles dispositions concernant les entreprises de travail temporaire, codifiées à l'article R. 4625-9. Pour en savoir plus, voir " Les décrets médecine du travail enfoncent le clou ", Santé & Travail n° 78, avril 2012.

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    Voir également l'article " Intérim : le pari perdu d'un vrai suivi médical ", Santé & Travail n° 73, janvier 2011.