Querelle d'experts sur le désamiantage
Le Sénat suggère d'abaisser rapidement à 0,5 fibre par litre d'air le seuil d'empoussièrement déclenchant les travaux de désamiantage dans les bâtiments. Le Haut Conseil de la santé publique propose 2 fibres par litre... en 2020. Polémique.
Le débat sur les risques liés à l'amiante est reparti cet été. En cause : les conclusions divergentes de deux rapports, l'un du Sénat, l'autre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), sur la nécessité d'abaisser le seuil d'empoussièrement des bâtiments à partir duquel des travaux de désamiantage doivent être entrepris. En 2009, l'ex-Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), devenue depuis Anses, avait recommandé de l'abaisser de 5 fibres par litre d'air prélevé dans un bâtiment à 0,5 fibre par litre. Et ce, afin de mieux protéger la population et les salariés amenés à effectuer des travaux dans des bâtiments encore amiantés.
Dans un rapport remis le 2 juillet dernier, le comité de suivi sur l'amiante du Sénat a déploré que "la réévaluation du seuil d'empoussièrement pour déclencher des travaux tarde à être menée à son terme". Et préconise d'en abaisser rapidement la valeur à 0,47 fibre par litre, "tout en reconnaissant les difficultés techniques de cette réévaluation, qui tiennent notamment au problème de la sensibilité des mesures". Une proposition parmi vingt-huit, "à la fois ambitieuses et opérationnelles pour relever le pari du désamiantage dans les décennies à venir" (voir "Repères").
Las, le 18 août, le HCSP a rendu un rapport sur le sujet avec une proposition bien moins ambitieuse. Il y suggère l'adoption d'un seuil plus élevé, de 2 fibres par litre... mais seulement à compter du 1er janvier 2020. Son argument : un abaissement prématuré du seuil pourrait être contre-productif, car il conduirait à une augmentation sensible du nombre de chantiers de désamiantage et de déchets à gérer, alors que la réglementation les concernant n'est pas toujours respectée. Plus il y aurait de chantiers, plus les expositions se multiplieraient au sein de la population et des professionnels du secteur. Avec, "in fine, un bilan négatif", écrit le HCSP.
Un calendrier contesté
La proposition du HCSP ne fait pas en son sein l'unanimité. Des experts réunis par ce dernier, dans un groupe de travail chargé d'émettre un avis technique sur la réévaluation du seuil, s'étaient prononcés pour un passage à 2 fibres par litre dès 2015, puis à 1 fibre en 2020. Le HCSP en a décidé autrement. Un choix que ne partage pas la présidente du groupe d'experts, Marie-Annick Billon-Galland. "Je ne l'ai pas cautionnée seulement au niveau des dates de mise en application du nouveau seuil, précise-t-elle. Pour le reste, nous étions en phase sur les dispositions indispensables à prendre avant d'établir cette nouvelle valeur, notamment l'amélioration du suivi de la réglementation actuelle et son renforcement dans le repérage et les contrôles de l'amiante dans les bâtiments. Néanmoins, il nous paraissait nécessaire de modifier rapidement ce seuil pour faire évoluer ces points."
Deux propositions sont donc sur le bureau de la ministre de la Santé, appelée à trancher : abaisser rapidement à 0,47 fibre par litre le seuil de gestion de l'amiante dans les bâtiments ou le laisser inchangé jusqu'en 2020. Pour Alain Bobbio, secrétaire de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), "la position immobiliste du HCSP est le résultat de pressions économiques étrangères à la santé publique. Si le gouvernement la suit, on peut craindre que l'abaissement de la valeur limite d'exposition professionnelle à 10 fibres par litre, prévu en juillet 2015, soit, lui aussi, renvoyé aux calendes grecques avec les mêmes arguments".