« La question du sens du travail et des luttes traverse presque tous les films du festival »
Ce soir, l'ouverture du festival Filmer le travail, qui se déroule du 4 au 13 février à Poitiers, frappe fort avec la projection de Tu crois que la terre est chose morte, documentaire sur la pollution au chlordécone en Martinique. Entretien avec Maïté Peltier, directrice artistique de l’événement, consacré cette année au travail de la terre et avec le vivant.
Qu’attendez-vous de cette 13e édition du festival Filmer le travail, après celle de l’an passé qui s’est tenue en ligne ?
Maïté Peltié : Nous sommes très heureux qu’elle puisse avoir lieu, car il est primordial de pouvoir aller à la rencontre de notre public, qui est cinéphile, très engagé et très jeune. Nous avons fait une sélection exigeante de films de cinéma, allant de l'épique au poétique. Ceux en lice pour la compétition internationale nous entraîneront de la Chine au Liban en passant par la France, le Portugal ou les Etats-Unis. Chacun fera l’objet d’un débat avec des cinéastes, des artistes et des universitaires. Il en sera de même pour les films illustrant la thématique de cette année : le travail de la terre et avec le vivant. La réalisatrice Florence Lazar sera là pour échanger sur son documentaire, Tu crois que la terre est chose morte, traitant des pollutions chimiques au chlordécone en Martinique.
Est-ce que l’épidémie de Covid-19 a changé la manière dont les cinéastes abordent la question du travail ?
M. P. : C’est encore difficile de le savoir. La question du sens du travail, des luttes, des résistances traverse presque tous les films que nous présentons. Nous avons aussi eu des propositions de long-métrages qui portaient sur le confinement et sur la création artistique. A croire que la pandémie a été propice à parler du travail de l’écriture et de la musique. Répétitions, de Colombe Rubini, dresse ainsi le portrait de deux cheffes d’orchestres débutantes qui se confrontent aux codes traditionnels d'un milieu exigeant et encore très masculin. Dans L’énergie positive des dieux, Lætitia Møller capte le processus créatif d’un groupe de rock, où jouent de jeunes autistes d’un institut médico-éducatif.
Qu’est-ce qui a présidé au choix du fil rouge de cette année : le travail de la terre et avec le vivant ?
M. P. : Après le travail des femmes en 2020 et le travail dans l’éducation en 2021, le festival a retenu cette thématique très actuelle, qui correspond aux préoccupations de la génération climat : notre rapport à la terre, au vivant, à l’animal. Avec des productions très récentes comme Vedette, de Claudine Bories et Patrice Chagnard, un film drôle sur la mise à la retraite d’une bête de concours. Ou encore Nous la mangerons, c’est la moindre des choses, dans lequel la réalisatrice Elsa Maury suit une bergère du Piémont Cévenol qui apprend à tuer ses animaux pour éviter de les envoyer à l’abattoir.
Nous présentons aussi des films plus rares et inédits comme Safrana ou le droit à la parole, daté de 1978 : le cinéaste Sidney Sokhona suit quatre travailleurs africains immigrés qui apprennent des techniques agricoles auprès de paysans bourguignons qui ont résisté à la mécanisation. Si la fiction a délaissé le monde agricole depuis les années 1970, le documentaire s’emploie depuis à témoigner des dégâts sur l'environnement, et à interroger l’utopie du retour à la terre, de l'émancipation et de l’espoir. C’est essentiel, car le sujet est éminemment politique.
Le festival est pluridisciplinaire avec des cafés littéraires, des concerts, des expositions, ainsi qu’une rétrospective conçue par un historien du cinéma. Pourquoi est-ce important ?
M. P. : Nous avons envie de multiplier les occasions d’échanger avec le public. Nous organisons par exemple un dialogue croisé sur les luttes environnementales, en écho à une action locale contre la création de « méga bassines », des retenues d’eau dans le marais poitevin. Le reporter radio Antoine Chao, des cinéastes et des militants du collectif Bassines non merci ! seront présents.
Des universitaires présenteront également leurs travaux de recherche au cours de deux journées d’études sur l'écologisation des pratiques agricoles, la réappropriation collective des terres et la question des communs. Elles sont coorganisées avec l'université de Poitiers et soutenues par l'Organisation internationale du travail (OIT), institution qui accompagne le festival quasiment depuis ses débuts et qui décernera un prix pour la première fois cette année.