Le rapport Frimat propose un contrôle renforcé du risque chimique
Santé & Travail a pris connaissance du rapport de la mission Frimat sur la prévention et la traçabilité du risque chimique. Ses 23 recommandations sont d’une philosophie beaucoup plus coercitive que celles de la mission Lecocq-Dupuis-Forest, dévoilées lundi dernier.
Décidément, la rentrée est riche en rapports sur la santé au travail. Il est question cette fois de celui rédigé par Paul Frimat, professeur de médecine du travail à Lille, sur la prévention des expositions des travailleurs aux agents chimiques dangereux (ACD), toujours à la demande du gouvernement. Santé & Travail a pu le consulter. Et à sa lecture, on comprend mieux pourquoi l’exécutif ne l’a pas encore rendu public, alors qu’il est daté du mois d’avril.
Ses vingt-trois propositions sont en effet d’une tonalité radicalement différente de celles figurant dans le rapport rendu par la mission Lecocq-Dupuis-Forest sur l’organisation de la prévention des risques professionnels. Si celle-ci privilégie l’accompagnement des entreprises, Paul Frimat préconise surtout de mieux faire respecter la réglementation, y compris par le biais de mesures coercitives. Pour ne citer que deux recommandations emblématiques, l’universitaire lillois propose d’établir des amendes administratives pour les employeurs qui ne respecteraient pas leurs obligations vis-à-vis du risque chimique, et d’étendre l’arrêt temporaire d’activité par l’Inspection du travail à l’utilisation de certains produits chimiques, en cas de manquement grave aux mesures essentielles de prévention.
Une réponse aux critiques sur l’allègement du compte prévention
Ce rapport a été commandé à Paul Frimat par les ministères du Travail et de la Santé suite aux critiques formulées à l’égard du retrait du risque chimique du compte professionnel de prévention, formule allégée du compte personnel de prévention de la pénibilité. Dans le cadre des ordonnances sur le droit du travail, le gouvernement avait en effet exclu les agents chimiques dangereux du nouveau dispositif, en le recentrant « sur 6 facteurs de risques professionnels plus facilement évaluables, afin de garantir [sa] bonne mise en application », comme le signale le rapport.
Paul Frimat devait répondre à trois questions : comment améliorer la prévention de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux ? S’agissant de la traçabilité, comment opérer un suivi de l’exposition des salariés aux agents chimiques dangereux ? Enfin, concernant la compensation, comment assurer la prise en compte des spécificités des agents chimiques dangereux dans les règles d’indemnisation ? Des enjeux importants car, comme le rappelle le rapport, un tiers des salariés en France a été exposé à au moins un agent chimique dangereux au cours de la semaine précédant la dernière enquête relative à la surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer). Et un salarié sur dix l’a été à au moins un produit chimique cancérogène.
Mesures incitatives et coercitives
La première série de préconisations vise donc à améliorer la prévention, notamment primaire, de l’exposition des salariés au risque chimique. Paul Frimat recommande par exemple d’actualiser la liste des travaux interdits aux intérimaires et CDD du fait de l’exposition à certains produits dangereux, afin de la rendre plus exhaustive. Il propose également d’aller au-delà du seul respect des valeurs limites d’exposition prévues pour certaines substances, en ajoutant au mesurage atmosphérique le suivi de données biométrologiques chez les salariés. Du côté incitatif, est évoqué la généralisation d’un système de bonus-malus sur la cotisation versée par les employeurs à la branche risques professionnels de l’assurance maladie. Sans oublier, sur le versant coercitif, les deux mesures évoquées plus haut.
Le renforcement de la recherche, comme de l’information et de la formation des acteurs sont également mis en avant. Avec une idée originale : donner aux entreprises des repères en matière d’exposition dans le même secteur d’activité, de façon à ce qu’elles puissent mesurer l’efficacité de leur politique de prévention. Enfin, un dispositif de taxation des agents chimiques les plus dangereux, dans l’objectif de financer la toxicovigilance et la recherche, est aussi recommandé.
Conserver et partager les données
En matière de traçabilité, le rapport affiche aussi de réelles ambitions. Il propose de mieux assurer la conservation des documents uniques d’évaluation des risques réalisés par les employeurs, et d’en extraire les éléments sur le risque chimique afin de les transmettre aux services de santé au travail (SST). En parallèle, il préconise de créer un dossier numérique pour chaque entreprise, géré par les SST et pouvant être partagé entre eux, compilant toutes les données collectives relatives aux expositions aux agents chimiques dangereux (ACD). Au niveau individuel, le transfert de données sur ce type d’exposition du dossier médical en santé au travail (DMST) vers le dossier médical personnel (DMP) est envisagé, afin de faciliter une prise en charge coordonnée entre médecine du travail et de ville. Ainsi qu’une extension du dispositif de suivi médical post-professionnel à d’autres produits que les seuls cancérogènes.
Les dernières préconisations ont pour objectif de permettre aux travailleurs de mieux faire valoir leurs droits en termes de compensation. L’abondement du compte personnel de formation en cas d’exposition à des ACD sur une certaine durée est recommandé, en vue d’une reconversion, ainsi qu’un droit à la retraite anticipée pour les salariés atteints d’une maladie professionnelle. Le rapport propose aussi de renforcer l’accompagnement des salariés victimes d’allergies ou de syndrômes d’hypersensibilité suite à l’exposition à des produits chimiques, en vue de leur maintien dans l’emploi. Reste à savoir ce que le gouvernement retiendra de toutes ces préconisations, compte tenu qu’elle ne s’inscrivent pas exactement dans la même logique que celle des recommandations formulées par le rapport Lecocq.
1. Simplifier la réglementation.
2. Mieux articuler les mesurages des expositions aux agents chimiques dangereux (ACD) avec la prévention.
3. Compléter la liste des travaux interdits aux salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée ou d’un contrat de travail temporaire en matière d’agents chimiques dangereux.
4. Créer un dossier « Agents chimiques dangereux » listant les informations devant figurer dans le document unique d’évaluation des risques et qui serait transmis aux services de santé au travail et intégrés dans le dossier d’entreprise (voir aussi point 9).
5. Introduire dans le Code du travail des amendes administratives en cas de non-respect d’obligations formelles en matière de risque chimique.
6. Etendre la procédure d’arrêt temporaire d’activité.
7. Mettre à disposition des entreprises des repères qui leur permettent d’évaluer leurs actions de prévention.
8. Instaurer un dispositif de taxation des agents chimiques les plus dangereux, en particulier les produites cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction (CMR), dans l’objectif de financer la toxicovigilance ainsi que la recherche associée.
9. Créer un dossier d’entreprise tenu par les services de santé au travail.
10. Assurer la transmission des principaux documents utiles en matière de prévention et de traçabilité du risque chimique aux services de santé au travail pour intégration dans le dossier d’entreprise.
11. Assurer un point de rencontre annuel entre l’entreprise et son service de santé au travail en présence des représentants des salariés au CSE.
12. Favoriser le transfert des données du dossier médical en santé au travail (DMST) vers le dossier médical partagé.
13. Renforcer le suivi post-professionnel et post-exposition des salariés exposés à certains ACD.
14. Permettre un accès direct des services de santé au travail aux bases de données sur les substances ou mélanges dangereux.
15. Permettre l’abondement du compte personnel de formation à la suite de la validation du suivi d’exposition par le service de santé au travail.
16. Permettre l’abondement du compte personnel de formation en cas de maladie professionnelle liée au risque chimique afin de favoriser la reconversion professionnelle des salariés.
17. Mettre en place une expérimentation visant à accompagner les victimes de maladie professionnelles liés à des produits sensibilisants vers le retour à l’emploi.
18. Permettre un droit à une retraite anticipée pour un salarié atteint d’une maladie professionnelle.
19. Faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles à effet différé (cancer, pathologie dégénérative…).
20. Développer la formation des professionnels des services de santé au travail à la prévention du risque chimique.
21. Développer l’information des salariés et de leurs représentants.
22. Intensifier les efforts de recherche en matière d’ACD.
23. Structurer et mettre à disposition au niveau territorial les données relatives à la prévention du risque chimique.