Rapport Lecocq : le malaise des agents de la Sécu persiste
Une nouvelle note de la direction des Risques professionnels de la Sécu détaille ses craintes d’une séparation des missions de contrôle et de conseil envisagée dans la prochaine réforme de la santé au travail. Pas du tout du goût des partenaires sociaux.
La direction des Risques professionnels (DRP) de l’Assurance maladie se débat pour que la réforme programmée de la santé au travail ne touche pas aux missions de contrôle des services prévention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), comme le propose le rapport Lecocq1
. Ce dernier, dévoilé fin août sur notre site, devrait servir de fil conducteur à la négociation interprofessionnelle qui devrait s’ouvrir sur ce thème dès que la lettre de cadrage élaborée par Matignon sera adressée aux partenaires sociaux, avant un projet de loi au premier trimestre 2019.
Santé et Travail a pu consulter une nouvelle note confidentielle issue de la DRP, qui met l’accent sur sa volonté de préserver sa « mission d’assureur public de la santé au travail ». Celle-ci revient, de façon didactique et sur huit pages d’explications, sur ses craintes vis-à-vis de la séparation envisagée des missions de contrôle et de conseil de ces services prévention. Elle détaille en quoi cette perspective de réforme serait problématique pour sa mission d’assureur. Une position qui enfonce donc le clou par rapport à la première note confidentielle dont Santé et Travail s’était fait l’écho en octobre dernier. Cette initiative a été fermement et unanimement condamnée par les partenaires sociaux lors de la réunion du 14 novembre de la Commission accidents du travail-maladies professionnelles (CAT-MP), le conseil d’administration de la branche AT-MP de la Sécu (voir encadré ci-dessous).
Mêmes prérogatives que les inspecteurs du travail
Ce nouveau texte détaille la formation ainsi que les conditions d’embauche et d’agrément des 1 420 agents des Carsat, des caisses régionales (Cram) et des caisses générales de sécurité sociale (CGSS). Elle rappelle que ces derniers ont les mêmes prérogatives que les inspecteurs du travail : un accès aux entreprises sans restriction possible sous peine de délit d’entrave, un droit soumis au secret professionnel, avec prestation de serment au tribunal d’instance.
Puis la note insiste sur la mission des préventeurs. « Les agents ciblent les entreprises à risques qui génèrent des sinistres, dans un souci d’efficacité », souligne-t-elle. Si le résultat paraît mince, vu que les agents des Carsat voient seulement 3 % des entreprises, il est « cohérent avec les moyens dédiés » et « ces entreprises représentent 28 % des sinistres et 33 % des dépenses de la branche ». Les agents ont la possibilité de donner des injonctions aux employeurs (en moyenne 1 000 par an), qui entraînent une majoration de cotisation (10 millions d’euros par an). En cas de mise en œuvre de mesures vertueuses, les agents peuvent appliquer une ristourne (15 millions d’euros par an).
« Intrication nécessaire »
Ces chiffres visent à appuyer la démonstration. « Contrairement à l’affirmation du rapport Lecocq, les fonctions de contrôle et de conseil sont intimement liées », écrit l’auteur de la note, en faisant référence aux recommandations du Bureau international du travail (BIT) sur cette « intrication nécessaire ». Il ajoute que « cette obligation de contrôle induit une obligation d’action » : « Il n’apparaîtrait pas logique qu’un ingénieur-conseil ou un contrôleur de sécurité à qui il est porté ou révélé, lors d’une visite d’entreprise par exemple, l’existence d’un risque à même de mettre en péril la sécurité des travailleurs, ne puisse faire montre d’une compétence de contrôle, notamment face à une machine utilisée en fonction dégradée. »
Au-delà des cas particuliers, la note estime que cela correspondrait à l’abandon d’une mission régalienne : « L’idée de séparer strictement prévention et contrôle porte en elle le danger pour les pouvoirs publics de se défaire de toute capacité d’exercer sa responsabilité de police administrative. »
- 1"Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée", rapport de la mission confiée à Charlotte Lecocq, députée LREM du Nord, Bruno Dupuis, consultant en management, et Henri Forest, ancien médecin du travail et ancien secrétaire confédéral de la CFDT. Ce rapport a été rendu public le 28 août.