Redonner la parole aux salariés sur le travail
Lancées par le gouvernement, les Assises du travail ont associé chercheurs et partenaires sociaux. Elles se sont conclues sur la remise d’un rapport, le 24 avril, avec plusieurs propositions sur la nécessité d’écouter et d’associer davantage les salariés sur l’organisation du travail.
« Pourvoir mieux vivre de son travail et mieux vivre au travail » : c’était le mantra des Assises du travail, inaugurées par l’exécutif le 2 décembre 2022 dans le contexte explosif de la réforme des retraites. Elles visaient à alimenter le chantier sur un nouveau « pacte de la vie au travail », qui devrait aboutir à une loi d’ici à la fin de l’année. Les entreprises, chercheurs et représentants des syndicats qui ont accepté de participer à ces ateliers, dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) lancé en septembre 2022 par le président de la République, ont planché sur le monde du travail de demain. A l’instar d’Yves Clot, professeur émérite en psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Ce dernier estime néanmoins que « cet objectif de nouvelle loi paraît extrêmement compliqué, car la situation actuelle liée à la réforme des retraites est l’inverse de ce qui est promu dans le rapport, avec une défiance à son apogée ».
Un dixième principe de prévention
Le 24 avril dernier, Sophie Thiéry, présidente de la commission travail et emploi du Conseil économique social et environnemental (Cese), et Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, ont résumé dans un rapport la teneur de ces échanges, à travers dix-sept propositions. Certaines d’entre elles concernent une meilleure prise en compte de la parole des salariés, à travers le dialogue professionnel. L’une des plus emblématiques consiste à créer un dixième principe de prévention : « Ecouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales. »
Cependant, Yves Clot regrette que « l’objet du dialogue professionnel n’ait pas été défini clairement, autour du “travail bien fait”, qualité des produits et des services compris ». Et comment passer de la réflexion à l’action ? Selon Michel Sailly, ergonome, conseiller à la CFDT et contributeur au laboratoire d’idées La Fabrique de l’industrie, une question-clé reste en suspens : « Concrètement, comment organiser les espaces de discussion au travail ? Là-dessus, ça ne progresse pas. Il ne faut pas attendre une nouvelle loi pour le résoudre. Il faut rompre avec cette logique très centralisatrice et mener des assises territoriales pour soutenir les expérimentations dans les entreprises et en tirer des leçons. »
Organiser le dialogue professionnel
Sur le dialogue professionnel, les rapporteurs chargent « l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), organisme tripartite réunissant les partenaires sociaux et l’Etat autour d’un réseau régional, d’une mission d’identification et de capitalisation des bonnes pratiques en entreprise sur les espaces existants ou expérimentant de nouvelles modalités ». Pour le directeur technique et scientifique de l’Anact, Matthieu Pavageau, ce dialogue s’incarne d’ores et déjà dans « les espaces de discussions sur le travail, des outils créés dans la suite de tous les travaux sur la prévention des risques psychosociaux, qui développent les ressources collectives, le pouvoir d’action pour tout un chacun, dans une perspective qui lie santé au travail et performance ».
En vue d’aller plus loin, Yves Clot aurait aimé qu’un bilan des lois Auroux de 1982 soit tiré concernant le droit d'expression des salariés sur le travail et son organisation, « afin d’en souligner l’échec du fait qu’on ait voulu organiser les groupes d’expression des travailleurs par la hiérarchie ». « Les collectifs n’avaient pas le temps de préparer ces réunions, de se concerter, et ceux qui se rendaient aux groupes d’expression en présence de la hiérarchie ne pouvaient ni se “mouiller” ni s’engager », reproche-t-il. Un avis que ne partage pas Matthieu Pavageau : « Si l’on estime que c’est perdu d’avance parce que le manager comprimerait la parole, on n’arrivera pas à traiter des enjeux de transformation et de transitions. La qualité de ce dialogue sur le travail exige un appui organisationnel aux managers opérationnels. Au sein de leur équipe, ils vont en effet mettre en discussion des situations de travail qui présentent des empêchements, des injonctions contradictoires, etc. »
Manager ou référent métier ?
Selon ce dernier, « le fait que les managers soient impliqués dans l’animation de ce dialogue permet de dépasser les exercices consistant uniquement à vider son sac ». « Ce ne sont pas des espaces de parole mais de délibération sur les enjeux du travail, résume-t-il. Ainsi, les produits de ces travaux doivent nourrir les décisions et le dialogue social. » Il fait aussi valoir que « ce qui favoriserait les choses, c’est que ces managers et leurs équipes aient encore davantage les coudées franches, la main sur un certain nombre de décisions qui engagent directement leurs conditions de réalisation du travail ». Les expériences en entreprise suivies par Yves Clot l’amènent à proposer une autre solution. « L’élection de référents métier qui ne sont pas des hiérarchiques mais discutent du travail avec les salariés, qui sont des collègues comme les autres, syndicalistes ou non, est la meilleure façon de faire vivre le collectif », estime l’auteur du livre Le prix du travail bien fait. Les partenaires sociaux ont jusqu’à la fin de l’année pour en débattre.