La réforme de la santé au travail sur de mauvais rails
par
François
Desriaux
Rozenn
Le Saint
/ 17 juillet 2019
Syndicats et patronat réunis au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail ne sont pas parvenus à s’entendre sur la réforme de la santé au travail. Leurs approches sont si incompatibles que le gouvernement aura bien du mal à dégager une synthèse.
Au gouvernement de reprendre désormais la main sur la réforme de la santé au travail, les partenaires sociaux ayant fait état de leur incapacité à se mettre d’accord sur ce sujet-là aussi, six mois après le dossier de l’assurance chômage. Vendredi 12 juillet, lors d’une ultime réunion du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), organisations syndicales et patronales ont acté leurs profondes divergences sur le contenu de cette réforme, mise en débat avec la publication du rapport Lecocq en septembre 2018.
« L’inflexibilité patronale »
Dans leur communiqué collectif publié vendredi, les cinq organisations syndicales critiquent « l’inflexibilité patronale sur la question du financement des services de santé interentreprises [qui] a d’emblée fermé toute possibilité de construction d’un texte commun ». Il est vrai que le document de synthèse des positions patronales, dont Santé & Travail s’est procuré une copie, n’entrouvre guère la porte, posant en préambule une série de refus, « d’une étatisation des SSTI [services de santé au travail interentreprises] et de la disparition de la présidence employeur […] ; d'une cotisation santé unique et identique prélevée par les Urssaf ; de créer une structure régionale dédiée aux risques psychosociaux ». Les dix mois écoulés depuis la publication du rapport Lecocq n’auront donc pas suffi pour rapprocher les points de vue.
Pas question d’une gouvernance paritaire
Les employeurs n’entendent pas céder un pouce de terrain sur la gestion des SSTI et… la manne financière de plusieurs milliards d’euros qu’ils représentent. D’où l’opposition patronale à leur intégration dans des établissements régionaux, qui réuniraient également les services prévention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), les Associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) et les agences régionales de l’Organisme professionnel de prévention du BTP – regroupement que préconisait le rapport Lecocq. Pas question non plus d’un pilotage paritaire des services de santé au travail. La gouvernance sous présidence patronale doit rester de mise, ainsi que la « nomination des administrateurs employeurs des CA [conseils d’administration] des SSTI par les seules organisations d’employeurs représentatives au plan national interprofessionnel », précise le document conjoint aux cinq organisations patronales (Medef, CPME, U2P, FNSEA, UNAPL).
Affirmations de principe
De leur côté, les organisations syndicales se sont accordées sur une « expression » commune. Ce document de six pages, daté du 28 juin, passe en revue leurs desiderata sur l’organisation nationale et régionale de la santé au travail, les SSTI, le rôle essentiel de la prévention primaire, la prise en charge des publics vulnérables, la lutte contre la désinsertion professionnelle, ou encore la qualité de vie au travail. Toutefois, le texte reste très général, comme le montre cet extrait : « Une véritable politique de prévention de la désinsertion professionnelle doit permettre une continuité du parcours professionnel du travailleur. » Le manque d’orientations politiques précises et fortes souligne en creux de réelles divergences entre les différentes centrales.
Refus de discuter des indemnités journalières
En revanche, les syndicats se montrent plus tranchants sur ce qu’ils ne veulent pas. Tel est le cas à propos de la refonte du régime des indemnités journalières, souhaitée par les ministres du Travail et de la Santé : « Les sujets ayant strictement trait à la gestion des indemnités journalières, tels que le jour de carence ou la forfaitisation, ne sauraient trouver leur place dans le cadre de la réforme […], dont l’objet est de mettre la prévention au cœur de notre système de santé au travail. » Même constat d’unité combative s’agissant de la méthode employée par le gouvernement pour conduire la réforme. Les organisations syndicales réaffirment qu’elle ne saurait être menée « dans la précipitation », « sans les représentants des travailleurs et des entreprises qui doivent pour cela disposer des moyens humains et financiers ». Et de conclure : « Quelles que soient les modalités choisies, négociation ou concertation, elles ne peuvent remettre en cause la légitimité des partenaires sociaux sur les politiques de santé au travail. »
Des désaccords qui plombent la réforme
Une façon de rappeler au gouvernement que les partenaires sociaux, patronat compris, n’ont pas apprécié la « mission parallèle » confiée par l’exécutif à trois experts, Hervé Lanouzière, Stéphane Seiller et Christian Expert (lire « Le Coct se rebiffe sur la réforme de la santé au travail », Santé & Travail n° 107, juillet 2019). Manifestement, les arguments d’Antoine Foucher, directeur de cabinet de la ministre du Travail, dans sa réponse du 26 juin au courrier du 23 mai signé par toutes les organisations patronales et syndicales, n’ont pas réussi à dissiper leurs craintes. Avec autant de désaccords, tant du côté employeurs que du côté salariés, reste à savoir si le gouvernement osera s’attaquer à la réforme d’ampleur dessinée par le rapport Lecocq. Prudent, le ministère du Travail n’a fait aucun commentaire à l’issue de la dernière séance du Coct. Entre les dossiers chauds de la réforme des retraites et de l’assurance chômage, pas sûr qu’il ait envie d’ouvrir un nouveau front avec celui de la santé au travail.