Renforcer la réglementation sur les nanomatériaux
Face à l'emploi croissant de nanomatériaux et aux effets toxiques de certains d'entre eux, l'Agence nationale de sécurité sanitaire monte son niveau d'alerte et réclame une réglementation européenne pour protéger l'homme et son environnement.
Quelque 500 000 tonnes de substances à l'état nanoparticulaire ont été mises sur le marché en France en 2012. C'est ce qui ressort des déclarations, désormais obligatoires, effectuées en 2013 concernant la production et l'importation de ces matériaux. On en recense environ 240 catégories, utilisées dans des cosmétiques, des textiles, des produits chimiques, des peintures ou encore des aliments. Il n'existe aucune obligation d'étiquetage indiquant leur présence, sauf pour les produits cosmétiques et biocides.
Dans ce contexte, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié en avril un rapport appelant notamment à une meilleure évaluation des risques et à un renforcement de la législation européenne1 . Ces recommandations sont fondées sur l'analyse et les conclusions d'un comité d'experts scientifiques créé en 2012. Dans ses précédents avis sur le sujet, l'Anses avait déjà constaté un manque de données pour évaluer la dangerosité potentielle des nanomatériaux. Elle avait préconisé, dès 2007, l'application du principe de précaution.
Capacité à passer les barrières physiologiques
Lors d'une conférence de presse, Marc Mortureux, le directeur général de l'Anses, a souligné les incertitudes entourant les effets des nanomatériaux et nanoparticules, de taille infinitésimale, et les difficultés pour appréhender leur éventuelle toxicité. "Les tests in vitro et in vivo montrent la capacité de certains d'entre eux à passer les barrières physiologiques", a-t-il alerté, ajoutant qu'il n'existait pas encore d'étude épidémiologique des effets sur l'homme. L'Anses réclame des efforts de recherche, la prévention et la gestion des risques par les entreprises ainsi que le renforcement du dispositif réglementaire européen Reach, qui gère l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation ou la restriction d'utilisation des produits chimiques. Un autre avis de l'agence publié en avril demande également la modification des annexes de Reach pour que les nanomatériaux soient pris en compte.
Combien de travailleurs sont exposés ? Plusieurs milliers en France, estime Gérard Lasfargues, directeur général adjoint de l'Anses. "Il faudrait que ces expositions apparaissent sur les fiches de données de sécurité, mais les nanomatériaux ne sont pas encore classifiés et les employeurs n'ont donc pas à évaluer leurs risques de la même façon que pour des agents chimiques dangereux", indique-t-il. Le développement des capacités métrologiques pour mesurer l'exposition aux nanomatériaux dans l'atmosphère des postes de travail permettra bientôt de mieux évaluer les risques touchant les travailleurs dans les secteurs les plus concernés.
Des équipements collectifs et individuels de protection contre les particules peuvent être efficaces pour prévenir le contact avec des nanoparticules ou leur inhalation, notamment pour le dioxyde de titane, déjà classé et bénéficiant d'une valeur limite d'exposition. Mais beaucoup reste à faire. L'Institut de veille sanitaire a été chargé en avril de mettre en place un dispositif de surveillance des travailleurs potentiellement exposés aux nanomatériaux, Epinano, en s'appuyant sur les réponses à des questionnaires adressés aux entreprises et aux salariés concernés. L'avenir dira si l'homme risque de connaître des conséquences comparables à celles observées sur des organismes vivants : retards de croissance, anomalies ou malformations, cancers, hypersensibilité, allergies... En attendant, il vaut mieux se protéger.
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Evaluation des risques liés aux nanomatériaux. Enjeux et mise à jour des connaissances, avis de l'Anses, rapport d'expertise collective, avril 2014. Téléchargeable sur le site de l'Anses : www.anses.fr, rubrique "Avis, rapports, publications".