Renoncements
Jean Auroux, auteur éponyme des fameuses lois sociales de 1982, n'en revient pas. Lui aussi était partisan d'une évolution de "son" CHSCT, mais il n'aurait sans doute pas imaginé que le débat parlementaire sous une majorité de gauche déboucherait sur un regroupement de l'ensemble des institutions représentatives du personnel pour les entreprises de moins de 300 salariés. Certes, le ministre du Travail, François Rebsamen, et le rapporteur du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi à l'Assemblée nationale, Christophe Sirugue, ont assuré que les prérogatives de chaque instance resteraient identiques. Certes, la future délégation unique du personnel (DUP) "va permettre à des milliers de salariés de disposer d'une instance qui traite des conditions de travail", comme l'a rappelé l'actuel locataire de la rue de Grenelle. Certes, la future DUP permettra (peut-être) de mieux faire le lien entre les décisions stratégiques des entreprises vues en comité d'entreprise et leurs conséquences sur les conditions de travail vues en CHSCT.
Il n'empêche, le nombre d'amendements déposés pour aménager cet article 8 du projet de loi et tenter de garantir les possibilités d'intervention des représentants des travailleurs sur les conditions de travail témoigne de l'inquiétude d'une partie des parlementaires. Elle rejoint celle des professionnels de la santé au travail et des organisations syndicales. Mais le gouvernement a repoussé la majorité de ces amendements, y compris ceux sécurisant les moyens en nombre d'élus et en heures de délégation. Il y a donc toutes les raisons de craindre qu'il sera plus difficile pour la future DUP de s'emparer des questions de prévention des risques professionnels. Et que la dynamique des CHSCT observée ces dernières années va quelque peu s'enrayer.
Ce n'est pas le seul renoncement du gouvernement Valls. Pour la seconde fois, le Premier ministre a repoussé de six mois l'application d'une partie du compte personnel de prévention de la pénibilité. Et son ministre du Travail s'est fait applaudir par une assemblée patronale du bâtiment en critiquant la complexité des mesures. Ce faisant, tous les deux oublient qu'il ne s'agit pas simplement d'un mécanisme compensatoire destiné à permettre à des salariés exposés de partir plus tôt en retraite. Le volet prévention du dispositif est tout aussi crucial. Est-ce bien le moment de reculer sur la pénibilité quand autant de salariés licenciés pour inaptitude médicale le sont pour des problèmes de santé au travail ? Et quand la Sécu annonce une augmentation forte des arrêts maladie liés aux pathologies ostéo-articulaires et aux troubles mentaux, notamment chez les salariés vieillissants ? Est-ce bien le moment de renoncer à la réparation des pathologies psychiques professionnelles - dépression, stress post-traumatique, état anxieux généralisé -, en repoussant une mesure qui aurait permis de la faire avancer : la reconnaissance du burn-out proposée par le député socialiste Benoît Hamon ? A l'évidence, le ministre du Travail ne veut pas s'engager dans cette voie, alors qu'il vient de durcir les conditions de la prise en charge des TMS de l'épaule. L'emploi au prix de la santé au travail, c'est maintenant ?